Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/294

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ne saurais pas apprêter le thé, mais tout le monde s’entend à débarbouiller un enfant. »

La femme, qui était d’une constitution délicate et maladive, montra de son mieux qu’elle savait comprendre et reconnaître la bonté de Mark qui chaque nuit l’abritait avec sa grande redingote, ne gardant pour son propre lit que les planches et une couverture de voyage. Cependant, Martin, à qui il arrivait rarement d’étendre sa pensée et son regard hors de lui-même, s’irrita de ces paroles insensées, selon lui, et en témoigna son mécontentement par un murmure d’impatience.

« C’est vrai, tout de même, dit Mark, brossant les cheveux de l’enfant avec autant de calme et d’aplomb que s’il eût été barbier de naissance et d’éducation.

— Qu’est-ce que vous dites là encore ? demanda Martin.

— Ce que vous disiez vous-même, répliqua Mark, ou ce que vous vouliez dire quand vous venez de donner cours à votre sensibilité. Je suis tout à fait de votre avis, monsieur. C’est bien rude pour elle.

— Quoi ?

— De faire le voyage avec ce tas d’enfants, de faire un si long chemin dans une pareille saison pour rejoindre son mari. Si tu ne veux pas souffrir comme un enragé, en recevant du savon vert dans l’œil, mon petit homme, dit M. Tapley au deuxième gamin, qu’il était en train de laver au-dessus de la cuvette, tu feras bien de fermer les yeux.

— Où cette femme va-t-elle rejoindre son mari ? demanda Martin en bâillant.

— Ma foi, dit tout bas M. Tapley, j’ai bien peur qu’elle ne le sache pas elle-même. J’espère qu’elle pourra le retrouver ; mais elle lui a envoyé sa dernière lettre par une occasion, et ils ne paraissent pas s’être d’ailleurs très-clairement entendus. Or, si elle ne le voit pas sur le rivage agiter son mouchoir, comme cela se pratique sur les images des cahiers de chansons, mon opinion est qu’elle en mourra de chagrin.

— Aussi, quelle folie à une femme, s’écria Martin, d’aller monter à bord d’un vaisseau sur cette espérance, pour aller chercher une aiguille dans une botte de foin ! »

Il se laissa retomber sur son lit. M. Tapley le considéra un moment, puis il dit très-tranquillement :

« Que voulez-vous ? Je ne sais pas ! Voilà deux ans qu’il l’a quittée ; elle est restée dans son pays, pauvre et solitaire, soupirant toujours après le temps où elle le rejoindrait. Il est