Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/297

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de mendiants qui sont empilés dans ce misérable trou ! Ah ! oui, vraiment, je me trouverais bien mieux !

— Je remercie Dieu de ne pas savoir par ma propre expérience quelle peut être la façon de penser d’un gentleman, dit Mark ; mais j’aurais cru qu’un gentleman se trouvait infiniment moins bien ici qu’au grand air, surtout quand les dames et les gentlemen de la première chambre le connaissent tout autant qu’il les connaît lui-même, et ne s’occupent pas plus de lui qu’il ne s’occupe d’eux. Voilà, moi, ce que je n’aurais jamais cru.

— Eh bien ! moi, je vous dis que vous auriez tort de le croire, que vous avez tort de le croire.

— Très-probablement, monsieur, dit Mark avec son imperturbable sang-froid ; cela m’arrive souvent.

— Quant à rester coucher ici, dit Martin se soulevant sur son coude et regardant avec colère son domestique, supposez-vous qu’on soit sur des roses ?

— Toutes les maisons de fous du monde, dit M. Tapley, ne pourraient produire un maniaque capable de faire une pareille supposition.

— Pourquoi alors êtes-vous toujours à me tourmenter, à me presser de monter sur le pont ? Je reste couché ici parce que je ne me soucie pas d’être reconnu un jour, dans les temps meilleurs auxquels j’aspire, par quelque richard orgueilleux, pour l’homme qui a fait la traversée en même temps que lui dans la chambre d’arrière. Je reste couché ici, parce que je désire cacher ma position et ma personne, et ne point arriver dans le Nouveau-Monde marqué et étiqueté dans la classe des individus réduits au dernier degré de la misère. Si j’avais pu prendre passage en première classe, j’eusse levé la tête comme les autres ; comme cela m’a été impossible, je me cache. Entendez-vous ?

— Je suis bien fâché, monsieur, dit Mark. Je ne savais pas que vous aviez pris la chose tellement à cœur.

— Naturellement, vous ne le saviez pas, repartit son maître. Comment eussiez-vous pu le savoir, si je ne vous l’avais pas dit ? Ce n’est pas comme vous, Mark ; vous pouvez vous mettre à votre aise, aller et venir où vous voulez. Il est aussi naturel pour vous, dans les circonstances où nous nous trouvons, d’agir comme vous agissez, que pour moi d’agir comme j’agis. Supposez-vous qu’il y ait sur ce vaisseau une seule créature vivante qui ait, à moitié près, à souffrir autant que moi ? »

En faisant cette question, il s’était dressé sur son lit et il