Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/454

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— Qu’est-ce que ça vous fait ? dit Jonas. Allez au diable !

— Vous n’êtes pas très-poli.

— Assez poli pour vous, répliqua Jonas ; qui êtes-vous ?

— Un homme qui se croit autant de droit qu’un autre aux égards ordinaires qu’on se doit dans le monde, répondit doucement Tom.

— Vous êtes un menteur, dit Jonas. Vous n’avez droit à aucun égard. Vous n’avez droit à rien. Parbleu ! vous êtes un singulier personnage, pour parler de vos droits !… Ha ! ha ! ha ! des droits… lui ! des droits !

— Si vous continuez de la sorte, dit Tom en rougissant, je vous serai obligé de me déclarer en quoi je vous ai offensé. Mais j’espère que vous ne faites que plaisanter.

— Voilà bien comme vous êtes tous, mauvais chiens : quand vous voyez qu’un homme parle sérieusement, vous faites semblant de croire qu’il plaisante, afin de pouvoir vous tirer d’affaire. Mais ça ne prend pas avec moi. Connu, mon cher, connu ; et ne m’échauffez pas les oreilles, monsieur Pitch, ou Witch, ou Stich, ou n’importe quoi.

— Je me nomme Pinch ; ayez la bonté de me donner ce nom.

— Comment ? on ne peut pas se permettre de défigurer votre nom ! s’écria Jonas. Voyez-vous comme ces mendiants d’apprentis relèvent la tête ! Ma foi, nous les dressons un peu mieux que ça dans la Cité !

— Je ne m’occupe pas de ce que vous faites dans la Cité. Qu’aviez-vous à me dire ?

— Ceci, maître Pinch, répliqua Jonas, qui approcha tellement son visage de celui de Tom, que Tom fut obligé de reculer d’un pas : c’est que je vous conseille de garder vos avis pour vous et d’éviter les cancans, et de ne pas fourrer le nez là où vous n’avez que faire. Il m’est revenu quelque chose de vous, mon ami, et de vos façons doucereuses ; je vous recommande de renoncer à ces manières-là jusqu’à ce que j’aie épousé une des filles de Pecksniff, et de ne point capter non plus la faveur de mes parents, mais de laisser la place nette. Vous savez, quand les mauvais chiens ne veulent pas débarrasser la place, on les en chasse à coups de fouet. L’avis est bon, comprenez-vous, hein ?… Dieu me damne ! qui êtes-vous, s’écria Jonas avec un redoublement de mépris, pour faire route avec eux, à moins que ce ne soit par derrière, comme les autres domestiques à gages ?