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cognée violemment contre le front de son adversaire ; le sang jaillit abondamment d’une forte balafre à la tempe. Tom ne s’en aperçut qu’en voyant Jonas porter son mouchoir à la partie blessée et chanceler tout étourdi en se relevant.

« Seriez-vous blessé ?… dit Tom. J’en suis bien fâché. Appuyez-vous un peu sur moi. Vous pouvez le faire sans me pardonner, si vous m’en voulez encore. Mais vraiment j’ignore pourquoi, car jamais je ne vous avais offensé avant cette rencontre. »

Jonas ne répondit rien ; il n’eut même pas d’abord l’air de le comprendre, ni de savoir qu’il fût blessé, bien que plusieurs fois il retirât son mouchoir de sa plaie pour regarder machinalement le sang qui le couvrait. Une fois cependant, après l’avoir ainsi regardé, il porta les yeux sur Tom, et l’expression de ses traits prouva qu’il se rappelait bien la scène qui s’était passée et qu’il saurait s’en souvenir.

Il n’y eut rien de plus entre eux jusqu’au moment où ils rentrèrent. Jonas avait pris un peu l’avance, et Tom Pinch le suivait tristement, en songeant au chagrin que causerait à son excellent bienfaiteur la nouvelle de cette querelle. Le cœur de Tom battit bien fort, quand Jonas frappa à la porte ; plus fort, quand miss Merry répondit du dedans et quand, à l’aspect de son amoureux blessé, elle jeta un grand cri ; plus fort encore lorsqu’il les suivit au salon de famille ; plus fort encore quand Jonas parla.

« Ne faites pas tant de bruit pour cela, dit-il. Ça n’en vaut pas la peine. Je ne connaissais pas mon chemin ; la nuit est très-sombre ; et juste au moment où je rejoignais M. Pinch… (Ici il tourna son visage, mais non ses yeux vers Tom), je me suis heurté contre un arbre. Ce n’est qu’une écorchure.

— De l’eau froide, Merry, mon enfant ! cria M. Pecksniff. Du papier brouillard ! des ciseaux ! un morceau de vieux linge ! Charity, ma chère, faites une compresse. Dieu du ciel, monsieur Jonas !

— Que le diable vous confonde avec vos bêtises ! répliqua le gracieux gendre futur. Aidez-nous si vous le pouvez ; sinon, débarrassez le plancher ! »

Miss Charity, bien qu’on invoquât son aide, restait assise dans un coin, roide, le sourire sur les lèvres, et sans bouger. Tandis que Mercy pansait elle-même la blessure, et que M. Pecksniff pressait entre ses deux mains la tête du patient, comme si sans cela elle menaçait de se rompre en deux ; tan-