Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/469

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temps où elles n’avaient pas encore une dent au fond de leurs jolies bouches, et que j’ai vues souvent, ah ! les charmantes créatures ! jouer à l’enterrement dans la boutique et feuilleter tout du long le livre de commandes dans sa boîte de fer ! Mais tout cela est passé et très-passé, n’est-ce pas, monsieur Mould ? »

Et s’adressant à ce gentleman avec son enjouement respectueux, elle répéta en secouant la tête avec frénésie :

« Tout cela est passé et très-passé, n’est-il pas vrai, monsieur ?

— Tout change, mistress Gamp, tout change, dit l’entrepreneur.

— L’avenir nous réserve bien d’autres changements que ceux qui ont eu lieu déjà, dit mistress Gamp en hochant la tête d’une manière encore plus marquée. Des jeunes personnes avec des visages comme les leurs, ça doit penser à quelque chose de mieux que des enterrements, n’est-il pas vrai, monsieur ?

— Ma foi, je n’en sais rien, mistress Gamp, dit Mould avec un gros rire. Ce n’est pas trop mal, n’est-ce pas, ma chère, ce que mistress Gamp a trouvé là ?

— Oh ! que si, que vous le savez bien, monsieur, dit mistress Gamp ; et mistress Mould, votre belle compagne, le sait bien aussi, monsieur ; je le sais bien, moi, quoique le bonheur d’être mère d’une fille m’ait été refusé. Si nous en avions eu une, Gamp eût dans sa joie vendu jusqu’à ses chaussures pour boire à sa santé. Comme il fit une fois avec notre garnement de fils, et même qu’une autre fois il envoya le gamin vendre sa jambe de bois à un marchant d’allumettes et lui rapporter du rogomme en place, et le garçon s’acquitta de sa commission avec une intelligence au-dessus de son âge, car il perdit l’argent à pile ou face, ou à acheter des pommes de terre frites ; et après ça il revint effrontément à la maison conter la chose, en offrant d’aller se noyer si ça pouvait faire plaisir à ses parents. Oh ! que si, que vous le savez bien, monsieur, ajouta mistress Gamp, en essuyant son œil avec le bord de son châle et reprenant le fil de son discours : comme s’il n’y avait dans les journaux autre chose que des naissances et des enterrements, monsieur Mould ! »

M. Mould lança un clignement d’œil à mistress Mould, qu’il avait, pendant ce temps, prise sur ses genoux, et répondit :