Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/470

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Sans doute. Il y a bien d’autres choses, mistress Gamp. Ma parole, mistress Gamp est loin d’être bête, ma chère !

— Comme s’il n’y avait pas aussi des mariages, monsieur ! dit Mme Gamp, tandis que les deux demoiselles rougissaient et riaient du bout des lèvres. Que Dieu bénisse leurs excellents cœurs ! Elles le savent bien aussi ! Vous l’avez bien su vous, et mistress Mould l’a bien su elle, quand vous aviez leur âge ! Mais, dans mon opinion, vous avez tous le même âge maintenant : car l’idée seule que vous, monsieur et mistress Mould, vous ayez jamais des petits-enfants…

— Oh ! fi ! fi donc ! quelle folie, mistress Gamp ! répliqua l’entrepreneur. Elle est diablement futée tout de même. C’est excellent ! dit-il à demi-voix. Ma chère… dit-il de son accent ordinaire, mistress Gamp prendra bien, je pense, un verre de rhum. Asseyez-vous, mistress Gamp, asseyez-vous. »

Mistress Gamp prit le siège le plus rapproché de la porte, et, levant les yeux au plafond, elle feignit d’être complètement étrangère au verre de rhum qu’on lui apprêtait ; aussi, quand l’une des deux sœurs le lui présenta, montra-t-elle la plus grande surprise.

« Il ne m’arrive guère, dit-elle, mistress Mould, de prendre de ceci, à moins que je ne sois indisposée et que ma demi-pinte de porter ne me pèse sur l’estomac. Mistress Harris m’a dit mainte et mainte fois : « Sairey Gamp, qu’elle me disait, vraiment, vous m’étonnez ! — Mistress Harris, que je lui disais, pourquoi donc ça ? Expliquez-vous, je vous prie. — À dire vrai, m’dame, dit mistress Harris, et que cela reste entre vous et moi, jamais je n’aurais pensé, avant de vous connaître, qu’une femme puisse garder les malades ou soigner au mois de nouvelles accouchées, et cependant boire aussi peu que vous le faites. — Mistress Harris, que je lui dis, nul de nous ne sait de quoi il est capable avant d’avoir été mis à l’épreuve ; et je ne le savais pas non plus lorsque Gamp et moi nous nous sommes mis en ménage. Mais à présent, que je dis, ma demi-pinte de porter me suffit amplement, pourvu, mistress Harris, qu’elle me soit régulièrement fournie et qu’elle soit tirée bien doucement. Que je soigne des malades ou des femmes en couches, m’dame, j’espère remplir mon devoir ; mais je ne suis qu’une pauvre femme et je gagne péniblement ma vie ; c’est pourquoi, je l’avoue, je désire que ma demi-pinte me soit régulièrement fournie, et qu’elle soit tirée tout doucement à la cannelle. »