Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/471

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

On ne voit guère quel rapport précis il pouvait y avoir entre ces réflexions et le verre de rhum. Toujours est-il que mistress Gamp, après avoir porté un toast : « Aux meilleures chances possibles pour tout le monde ! » avala son verre de spiritueux en arrondissant le coude d’une manière tout à fait scientifique, et sans ajouter aucun autre commentaire.

« Et qu’aviez-vous de nouveau à m’apprendre, mistress Gamp ? demanda derechef M. Mould, tandis que la dame s’essuyait les lèvres avec son châle et grignotait un bout de biscuit qu’elle avait, selon toute apparence, apporté dans sa poche comme un antidote contre les gouttes contingentes qu’elle était exposée à se voir offrir en route. Comment va M. Chuffey ? ajouta l’entrepreneur.

M. Chuffey est juste dans le même état, monsieur ; ni mieux ni pis. C’est bien aimable de la part du gentleman de vous avoir écrit pour vous dire : « Que mistress Gamp prenne soin de lui jusqu’à mon retour. » Mais d’ailleurs, il ne fait rien que d’aimable. Il n’y a pas beaucoup de gens comme lui. S’il y en avait beaucoup, nous n’aurions pas besoin d’églises.

— Voyons, que voulez-vous me communiquer, mistress Gamp ? demanda Mould, revenant à la question.

— Voici, monsieur, en vous remerciant d’abord de cette question. Il y a au Bull, dans Holborn, un gent[1] qui y est tombé malade et qui est alité. Ils ont une garde de jour qui a été commandée par l’hospice de Barthélemy ; je la connais bien, monsieur Mould ; elle s’appelle mistress Prig, c’est la meilleure créature du monde ; mais on a besoin d’une garde de nuit, et il se trouve que mistress Prig est engagée ailleurs pour la nuit. Par conséquent, elle leur a dit, ayant pour moi une grande amitié de plus de vingt ans : « La personne la plus sobre, une vraie bénédiction dans une chambre de malade, c’est mistress Gamp. Envoyez un commissionnaire à Kingsgate-Street, qu’elle dit, et engagez-la à quelque prix que ce soit ; car mistress Gamp vaut son pesant d’or. » Mon propriétaire m’a rapporté le message et m’a dit : « Puisque vous n’avez qu’une petite occupation, et que la place promet d’être bien payée, pourquoi ne vous arrangeriez-vous pas pour faire les deux ? — Non, monsieur, que je lui dis, ça ne sera pas sans la permission de M. Mould ; ne le croyez pas. J’irai trouver M. Mould pour le consulter auparavant, s’il vous plaît. »

  1. Abréviation de gentleman.