Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/481

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En attendant qu’elle pût faire mousser sa tasse de thé, elle s’assit tellement près du cendrier, qui était très-haut, qu’elle y appuya son nez ; pendant quelque temps elle s’amusa, tout assoupie, à frotter et à refrotter cet ornement intéressant de son visage contre la pomme de cuivre qui surmontait le garde-feu, sans changer de posture ; ce qui ne l’empêchait pas de se livrer à une série de commentaires sur les mouvements désordonnés du malade.

« Cela fait, cria-t-il avec impatience, cinq cent vingt et un hommes, tous habillés de même, tous faisant la même grimace uniforme, qui viennent de passer sous la fenêtre et devant la porte. Regardez ! Cinq cent vingt-deux, vingt-trois, vingt-quatre. Les voyez-vous ?

— Ah ! si je les vois ! dit mistress Gamp, je crois bien. Ils ont tous leurs numéros sur le dos, comme les fiacres, n’est-ce pas ?

— Touchez-moi !… que je vois si je rêve. Touchez-moi !

— Vous prendrez votre prochaine tasse de tisane quand j’aurai fait chauffer la bouilloire, dit tranquillement mistress Gamp, et alors on ira vous toucher, à moins qu’on ne vous touche auparavant de la bonne manière, si vous ne vous tenez pas tranquille.

— Cinq cent vingt-huit, cinq cent vingt-neuf, cinq cent trente. Regardez !

— Qu’est-ce qu’il y a ? dit mistress Gamp.

— Ils arrivent quatre par quatre ; chacun donne le bras à son voisin, et lui appuie l’autre main sur l’épaule. Qu’est-ce qu’il y a donc au bras de chaque homme et sur le drapeau ?

— Des toiles d’araignées peut-être, dit mistress Gamp.

— Un crêpe ! un crêpe noir ! Bonté céleste ! Pourquoi donc portent-ils un crêpe sur la manche ?

— Ça vaut mieux que de le porter dans la manche, toujours, répliqua mistress Gamp. Voyons, avez-vous bientôt fini votre tapage ? »

Cependant le feu commençait à jeter une agréable chaleur ; mistress Gamp devint silencieuse ; petit à petit elle frotta plus lentement son nez contre le haut du garde-feu, et elle tomba dans un assoupissement profond. Elle fut éveillée soudain en entendant (à ce qu’elle crut) la chambre retentir de ce nom connu :

« Chuzzlewit ! »

Le son était si distinct, si réel, et rempli d’un accent tellement