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brûler du bois, & l’on recouvre tout cela du charbon qu’on a tiré du trou. On l’y laisse environ quatre heures, où il cuit beaucoup mieux que dans un four, & voilà ce qu’on appelle en Amérique un boucan de tortue.

En quelques ports de Normandie, on dit d’un lieu où il fume beaucoup, c’est un vrai boucan. Il y fume comme dans un boucan.

Boucan, chez nous, synonyme de bordel, signifie un lieu de débauche. Lustrum, lupanar, fornix. Fréquenter les boucans. Ce mot est populaire & déshonnête, fait pour les gens qui y vont.

BOUCANER, v. a. Faire cuire du poisson, ou de la viande à la manière des Sauvages, & les faire sécher, à la cheminée, ou les faire sorer sans sel. Fumo siccare pisces vel carnes. On les desseche aussi sur une espèce de gril fait de bâtons élevé de trois pieds au-dessus du feu ; & cette sorte de gril s’appelle boucan. On dit aussi boucaner des cuirs ; pour dire, les préparer à la manière des Sauvages ; & simplement, boucaner ; pour dire, aller à la chasse des bœufs sauvages ou autres bêtes, pour en avoir les cuirs. Dans cette acception, boucaner est neutre.

Boucaner, est aussi un verbe neutre, qui se dit de ceux qui fréquentent les lieux de prostitution & de débauche. Scortari. C’est un infâme qui ne fait que boucaner. Ce terme est bas & déshonnête.

BOUCANÉ, ÉE. part. Préparé au boucan, à la fumée & au feu, à la manière des Sauvages. Fumo siccatus. La viande boucannée a un goût si excellent, qu’on la peut manger en sortant du boucan sans la faire cuire. Elle est vermeille comme la rose, & a une odeur admirable ; mais elle ne dure que très-peu dans cet état, & six mois après avoir été boucanée, ou fumée, elle n’a plus de goût que de sel. Oexmelin. Il a des habitans qui envoient en ces lieux leurs engagés, lorsqu’ils sont malades, afin qu’en mangeant de la viande fraîche, qui est une bonne nourriture, ils se puissent remettre en santé, Id.

BOUCANIER. s. m. Qui fait boucaner les viandes, ou celui qui vit de viande, ou de poisson apprêtés de la sorte. Qui fumo pisces, vel carnes exsiccat. On a appelé ainsi les François de l’Île S. Dominique, tandis qu’ils y étoient vagabonds & sans maisons.

Boucanier, se dit adjectivement pour ce qui appartient aux Boucaniers. Ainsi le Capitaine qui a fait la Relation du voyage aux Terres Australes, entrepris en 1738, dit un fusil boucanier. Nous apperçûmes cette île à une portée de fusil boucanier.

Voici ce que l’histoire des Flibustiers & Boucaniers, T. I, P. I, Ch. 8. dit de l’origine de ces mots. Les Caraïbes Indiens naturels des Antilles ont accoutumé de couper en pièces leurs prisonniers de guerre, & de les mettre sur des manières de claies, sous lesquelles ils mettent du feu. Ils nomment ces claies Barbacra, & le lieu où elles sont, boucan, & l’action, boucaner, pour dire, rôtir & fumer tout ensemble. C’est delà que nos Boucaniers ont pris leur nom, avec cette différence qu’ils font aux animaux ce que les Indiens font aux hommes. Les premiers qui ont commencé, étoient habitans de ces Îles, & avoient conversé avec les Sauvages. Ainsi par habitude lorsqu’ils se font établis pour chasser, & qu’ils ont fait fumer de la viande, ils ont dit boucaner de la viande, & ont nommé le lieu boucan, & les acteurs Boucaniers. Les Espagnols appellent les leurs Matadores de Toros, Tueurs de Taureaux, & le lieu, Materia, Tuerie. Ils les appellent aussi Monteros, Coureurs de bois. Les Anglois nomment les leurs Cow-slayers, Tueurs de vache.

Les Boucaniers ne font point d’autre métier que de chasser. Il y en a de deux sortes. Les uns ne chassent qu’aux bœufs, pour en avoir les cuirs; les autres aux sangliers, pour en avoir la viande, qu’ils salent & vendent aux habitans. Tous ont le même équipage & la même manière de vivre. Les Boucaniers qui chassent aux bœufs, sont ceux qu’on nomme véritablement Boucaniers, car ils se distinguent des autres qu’on appellent Chasseurs. Leur équipage est une meute de 25 à 30 chiens, dans laquelle ils en ont un ou deux Veneurs, qui découvrent l’animal. Ils ont avec cette meute, de bons fusils qu’ils font faire en France. Leurs habillemens sont deux chemises, un haut de chauffes, une casaque, le tout de grosse toile, & un bonnet d’un cul de chapeau ou de drap, où il y a un bord seulement devant le visage, comme celui d’un Carapoux. Ils font leurs souliers de peaux de porc & de bœuf, ou de vache. Ils ont avec cela une petite tente de toile fine, afin qu’ils puissent la tordre facilement, & la porter avec eux en bandoulière ; car quand ils sont dans les bois, ils couchent où ils peuvent, & cette tente les défend des moucherons. Ils se joignent toujours deux ensemble, & se nomment l’un & l’autre Matelot. Ils mettent en communauté ce qu’ils possedent, & ont des valets qu’ils font venir de France, dont ils payent le passage, & les obligent de les servir trois ans : ils les nomment Engagés.

Les Boucaniers qui ne chassent qu’aux sangliers, ont leur équipage comme ceux dont on vient de parler. Lorsqu’ils sont venus le soir de la chasse, chacun écorche le sanglier qu’il a apporté, & en ôte les os : il coupe la chair par aiguillettes longues d’une brasse, ou plus selon qu’elle se trouve. Ils la poudrent de sel fort menu ; ils la laissent ainsi jusqu’au lendemain quelquefois moins, selon qu’elle a pris sel, & qu’elle jette sa saumure. Après ils la mettent au boucan.

Ce boucan est une loge couverte de taches qui la ferment tout autour. Il y a 20 ou 50 bâtons gros comme le poignet, & longs de sept à huit pieds, rangés sur des travers environ à demi-pied l’un de l’autre. On y met la viande, & on met force fumée dessous, où les Boucaniers brûlent pour cela toutes les peaux de sangliers qu’ils tuent, avec leurs ossemens, afin de faire une fumée plus épaisse. Cela vaut mieux que du bois seul; car le sel volatil qui est contenu dans la peau, & dans les os de ces animaux, s’y vient attacher ; aussi cette viande a un goût si excellent, qu’on la peut manger en sortant de ce boucan, sans la faire cuire. Oexmelin. La récompense que les Boucaniers donnent à leurs valets, lorsqu’ils ont servi trois ans, c’est un fusil, deux livres de poudre, six livres de plomb, deux chemises, deux caleçons, & un bonnet ; & après qu’ils ont été leurs valets, ils deviennent leurs camarades, & vont aussi chasser avec eux. Id. Les Boucaniers vivent fort librement entre eux, & se gardent une grande fidélité. Id.

Les Boucaniers ou Matadores Espagnols, chassent d’une autre manière que les François. Ils ne se servent point d’armes à feu, mais de lances & de croissans. Ils ont des meutes comme les François. Quand ils chassent, il y a deux ou trois valets, qui suivent & animent les chiens; & quand ils ont trouvé un taureau, ils le poussent dans une prairie, où le Boucanier se trouve monté à cheval, qui court lui couper le jarret, & après le tue avec sa lance. Cette chasse est très-plaisante à voir ; car outre que ces gens y sont adroits, ils font autant de cérémonies & de détours, que s’ils vouloient courir le taureau devant le Roi d’Espagne ; mais ces animaux étant en fougue crèvent des chevaux, blessent & tuent des hommes. Id. Les Boucaniers Espagnols ne se donnent pas tant de peine que les François. Ils font sécher leurs cuirs comme eux ; mais ils se servent de chevaux pour les porter. Ils préparent leurs mets avec plus de délicatesse, & ne mangent point leur viande sans pain ou cassave, outre qu’ils ont toujours avec du vin, de l’eau-de-vie, ou des confitures. Ils sont aussi dans leurs habits infiniment plus propres, & fort curieux d’avoir du linge blanc, Oexmelin, Histoire des Avent. Flibustiers & Boucaniers.

Fusil de Boucaniers. C’est le fusil dont se fervent les Boucaniers, & dont la monture est autrement faite que celle de nos fusils ordinaires. Les meilleurs fusils de Boucaniers se font à Dieppe & à Nantes. Ces fusils sont de quatre pieds & demi pour le canon. Ils sont tous d’un calibre tirant une balle de seize à la livre. Poudre de Boucaniers, c’est la plus excellente poudre dont se servent les Boucaniers, & qui se fait à Cherbourg, en basse Normandie. Ils en portent