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CAF

ces temps ne sont pas bien fixes & réguliers, de sorte que les Arabes ne reconnoissent de récolte proprement dite, que celle du mois de Mai, parce que c’est la plus grande de toute l’année. Quand ils veulent cueillir le café, ils étendent des pièces de toiles sous les arbres, que l’on secoue ensuite ; tout le café qui se trouve mûr, tombe avec facilité : on le met dans des sacs pour le transporter ailleurs, & le mettre en monceau sur des nattes, afin qu’il sèche au soleil pendant quelque temps, & que les gousses qui contiennent la féve, puissent ensuite s’ouvrir par le moyen de gros rouleaux de pierre ou de bois fort pesans, que l’on passe par-dessus. Lorsque par ce travail le café est sorti de ses écorces, & séparé en deux petites féves, ou plutôt en deux moitiés, qui ne faisoient auparavant qu’une féve, on le met de nouveau sécher au soleil, parce qu’il est encore assez vert, & que le café trop frais & qui n’est pas bien sec, court risque de se gâter sur la mer. On le vanne ensuite dans de grands vans pour le nettoyer, afin que le débit en soit meilleur ; car ceux qui ne prennent pas le soin de rendre leur café bien net & séché à propos, le vendent beaucoup moins.

Le seul royaume d’Iémen, à l’exclusion de toutes les autres régions de l’Arabie, produit l’arbre du café. Encore cet arbre ne se trouve-t-il en grande abondance que dans trois cantons principaux, qui sont ceux de Detelfagui, Senan ou Saana, & Galbany, du nom de trois villes qui sont dans les montagnes. Voyages de l’Arabie heureuse, I, 124.

Les Arabes croient que le café ne croît nulle part ailleurs que dans l’Iémen. On a cru cependant qu’il venoit originairement d’Ethiopie, d’où il a été transporté dans l’Arabie Heureuse. Cette opinion est en quelque sorte confirmée par la Relation d’un voyage qu’a fait Charles-Jacques Poncet en Ethiopie, dans les années 1698, 1699 & 1700 ; & insérée dans le IVe Recueil des Lettres écrites par les Missionnaires Jésuites, imprimé en 1704 à Paris. Ce Voyageur dit qu’on voit des Cafés en ce pays-là, mais qu’on ne les cultive que par curiosité. S’il est vrai que les Abissins soient venus d’Arabie en Ethiopie dès les premiers temps, comme l’écrit Ludolfe, ils auront pû y porter d’Arabie l’arbre du café, qui apparemment n’aura pas beaucoup réussi ; puisqu’il est même fort incertain qu’on en trouve aujourd’hui en Ethiopie. Du Poncet ne paroît pas en avoir vu, tant la description qu’il en fait, est peu ressemblante. D’ailleurs, ni le P. Tellez, Jésuite, dans sa Relation d’Ethiopie, la plus estimée que nous ayons, ni Ludolfe, dans son histoire d’Ethiopie si curieuse & si exacte, ne parlent en aucune manière du café. Voyage de l’Arabie Heureuse, p. 289, 290.

Outre l’Ethiopie, le café croît aussi dans l’Île Bourbon. La féve est un peu plus longue & plus pointue par les deux bouts que celle du café de l’Arabie. Un Jésuite qui partit le 7 Mars 1721, sur la Danaé pour la Chine, & qui passa par l’Île Bourbon, y remarqua cet arbre : & voici ce qu’il en a mandé de l’Île même le 7 Juillet 1721. J’ai remarqué avec soin le café venu de Moka, qu’on y cultive (à l’Île Bourbon), & le sauvage, qui y a été de tout temps, & qui y est très-bon. Ce café sauvage est de vrai café, d’une espèce, à la vérité, un peu différente du café d’Arabie, mais qui n’est ni moins bon, ni moins salutaire, & qui même a des qualités que l’autre n’a pas, ainsi que l’a éprouvé M. de Jussieu, à qui la Compagnie des Indes en envoya pour l’examiner. Voici à peu près le compte que cet habile Botaniste en rendit. Le café de l’Île de Bourbon est un arbre aussi-bien que celui de l’Arabie. Les branches de l’un & l’autre croissent le long de la partie supérieure du tronc, opposées l’une à l’autre, & rangées de manière qu’elles se croisent entre elles. Leurs feuilles suivent la même disposition, & approchent de la figure de celles du Laurier, ou du Citronier, avec cette différence, que celles du Cafier de l’Île Bourbon sont plus courtes & plus ventreuses que celles du café de Moka. La fleur qui dans tous les deux est de même structure, c’est-à-dire, semblable à celle du Jasmin, sort également dans l’un & dans l’autre de ces cafiers, de l’aisselle des feuilles, & ne diffère que très-peu en grandeur. Le fruit de l’un & de l’autre est une baie charnue de la grosseur d’une cerise, qui renferme deux semences enveloppées chacune dans une coque très-mince : & ces semences ont en tout la même figure, excepté que celle du cafier de l’Île Bourbon est beaucoup plus longue, d’une consistance plus compacte que celui d’Arabie, & que sa couleur tire plus sur le vert-brun ou sur le jaune, au lieu que celle de l’autre tire sur le gris.

Toutes ces différences n’établissent pas un nouveau genre d’arbre, mais seulement une espèce différence : ce qui fait voir qu’il pourroit encore se trouver d’autres espèces en différens pays, comme depuis peu nous en avons vu apporter de Bengale, dont l’espèce est plus petite que ces deux-ci : ce qui ne les rend les unes & les autres pas moins d’usage, que le sont chez nous les amandes, les cerises & les pêches, quoique les différences entre leurs espèces soient encore plus considérables.

Mais comme l’expérience & l’usage en doivent décider plus que les yeux, M. de Jussieu fit rotir en même temps parties égales de café de Moka & de celui de l’Île Bourbon, & il observa que l’odeur de celui-ci étoit pour le moins aussi agréable, & aussi pénétrante que celle du premier. Il vit sortir de l’un & de l’autre de ces cafés cette huile dont l’exhalaison produit cette odeur, avec cette différence à l’avantage du café de l’Île Bourbon, qu’il fournit une quantité plus abondante de cette huile, & qu’il conserve plus long-temps ses esprits, parce qu’il est d’une tissure plus ferme. Aussi M. Jussieu remarqua-t-il par la comparaison qu’il fit de quelques-unes de ces semences qu’il avoit fait rotir plus de cinq ans auparavant avec celles que les Directeurs de la Compagnie des Indes lui avoient envoyées tout récemment, que ces premières avoient peu perdu de leur goût dans cet espace de temps, au lieu que celui de Moka ne put soutenir cette épreuve, & qu’après une année de garde, depuis la torréfaction, il se trouve ou éventé ou rance. C’est encore à cette même cause qu’il faut attribuer la vertu qu’a le café de Bourbon par-dessus celui de Moka, de conserver plus long-temps ses esprits, même étant moulu, & d’être moins sujet à se réduire en charbon, quand on le laisse un peu de temps sur le feu.

Le goût de l’infusion de ces semences roties & grossièrement moulues, qui est la dernière marque qui peut mieux faire juger de leur bonté, n’a pas été moins favorable à celui de l’Ile Bourbon, que les autres épreuves que l’on en fit ; car ayant pris un poids égal de la poudre des semences de l’une & de l’autre, roties & pulvérisées en même temps, on le fit cuire dans deux cafetières différentes contenant égale quantité d’eau proportionnée à celle du café ; l’un & l’autre parurent avoir un goût à peu près semblable ; & si l’on y remarqua quelque différence, elle ne fut que de quelques degrés de vivacité que la boisson du café de l’Ile Bourbon parut avoir plus que l’autre. Ce que M. De Jussieu n’a pourtant pas voulu absolument assurer, parce que cela pourroit dépendre de la manière différente dont on pourroit le rotir ou le cuire.

Une dernière épreuve, fut de mêler une partie du café de l’Ile Bourbon avec deux parties de celui de Moka en poudre ; & la boisson que donna ce mêlange ne fut point différente de celle qui se fait ordinairement avec le café d’Arabie tout seul. Quand on mêla deux parties égales de l’une & de l’autre, la différence se fit un peu sentir à