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qu’elle sert encore aujourd’hui à les exercer, & ordinairement les vendredis, les jeunes Spahis courant à toute bride, y lancent la zagaie. Elle a bien quatre à cinq cens pas de long, & cent cinquante de large. Il ne s’y voit pour toute antiquité qu’un bel obelisque d’une seule pierre miste, de la hauteur de plus de 30 coudées, enrichie de lettres hiéroglyphiques, & élevée surr quatre boules de marbre très-fin. Il y a encore deux colonnes, l’une de marbre & l’autre de bronze, qui est faite de trois serpens entortillés, dont la tête avec la gueule ouverte font le chapiteau. Les bains & l’hôpital de la Mosquée neuve sont très-beaux, & il n’y a qu’un turbé dans lequel est enterré Sultan Achmet, qui l’a bâti, & toute sa famille.

Le serrail des Zulufdgiles est à un des coins de l’Atmeydan. Au delà de la Mosquée neuve sont les deux Bézestins, ou marchés, le vieux & le neuf. Près delà est la place où se vendent les esclaves : on la nomme Auret Bazari, c’est-à-dire, le marché des femmes, parce qu’il s’y vend plus de femmes que d’hommes. Non loin delà est la Mosquée du Sultan Bajazet, plus petite que les autres, mais qui a pourtant toutes ses appartenances, excepté des turbés. Elle est sur le haut de la colline proche du vieux serrail, où l’on met les veuves des Grands-Seigneurs. Il y a une grande place auprès de cette Mosquée, où les bateleurs font leurs tours de gobelets & de mains. Dans une longue galerie qui fait un des côtés de cette place on vend toutes sortes de gentillesses, comme on fait à Paris au Palais, excepté des rubans, parce que les Turcs n’en portent point.

Le milieu de la ville, d’où l’on peut avoir entièrement la vue du port qui n’en est pas éloigné, est sur l’éminence de la colline, où Sultan Suleyman, l’Alexandre des Turcs, a fait bâtir une Mosquée. Elle est plus belle que les autres, parce qu’elle est plus semblable à Sainte Sophie, & entre toutes les riches colonnes qui sont dedans, il y en a quatre de porphyre d’environ 30 piés de haut. Son cloître n’est pas moins grand que celui de la Mosquée de Sultan Achmet. Il y a deux colonnes de moins ; mais cela est suppléé par la beauté du marbre fin & jaspé dont elles sont faites, & par l’artifice de la fontaine qui est au milieu. Les bains & l’hôpital répondent pareillement à la grandeur de celui qui les a bâtis, lequel est enterré dans un turbé, & sa femme dans un autre.

Dans une rue prochaine qui est belle & large, on vend les arcs & les carquois. Au bout de cette rue est une des sept mosquées, qu’ils comptent pour royales, quoiqu’elle n’ait été bâtie que par le fils de Suleyman, d’où vient qu’elle porte le nom de Chalzade, qui signifie fils de Roi, & de l’autre côte de cette mosquée, sont les vieilles chambres des Janissaires, qui sont les logemens de ceux qui demeurent dans Constantinople, & qui ne sont pas mariés. Il y a deux colonnes proche de-là fort remarquables : l’une qui s’appelle brûlée, parce qu’elle l’a été depuis peu, & qui, sans la base & le chapiteau, est faite de huit pierres de porphyre, qui étoient si bien jointes avant le feu, qu’on les croyoit d’une seule pièce, parce que les assemblages que le feu a fait paroître, étoient cachés par des branches de laurier qui sont taillés dessus ; la seconde appellée historiale, est où se tenoit autrefois le Marché des femmes. Les Turcs l’appellent Dykili-Tach, c’est-à-dire, Pierre plantée. Elle a bien 60 piés de haut, sur un piédestal qui en peut avoir six. Une expédition d’Arcadius est taillée en bas relief, de figure mal faite, & celle de cet Empereur qui l’a fait dresser étoit autrefois dessus. L’escalier en est merveilleux, régnant dedans tout du long comme une coquille de limaçon, quoiqu’elle n’ait que douze piés de diamètre au plus.

Un peu au-delà, & assez près de la porte Sanmathia, dans un lieu qui appartient aux Arméniens, nommé Solimonastir, il y a une grande salle où l’on voit encore plusieurs portraits de Saints, & où l’on dit que fut tenu autrefois un Synode. Les sept tours, nommées en Turc Yedikoulle, n’en sont pas fort éloignées. Elles font un des angles du plan de Constantinople, & les Grands-Seigneurs y ont mis autrefois leur trésor ; à présent, elles ne servent plus que de prison aux personnes de considération & aux Etrangers principalement.

En approchant de l’autre angle de la ville, qui est au bout du port, l’on rencontre des aqueducs, & sur l’éminence de la colline qui règne tout du long, Sultan Méhémet a fait bâtir une mosquée, à laquelle il a donné son nom. Le cloître en est assez beau ; le reste n’est pas magnifique. Entre les turbés qui y sont, on voit celui de Sultan Muhamet, & d’une Sultane qu’ils disent avoir été Princesse Françoise, & c’est de là que vient la raison de l’alliance, dont le Grand-Seigneur donne la qualité au Roi de France, qu’il appelle son frere. La mosquée du Sultan Selim est proche du port & moins grande que les autres royales. En allant de cette mosquée aux murs de la ville, on rencontre deux grandes places de citernes, il y a une très-belle Eglise des Grecs, qui étoit autrefois la Patriarche de Constantinople.

L’on voit encore près delà, du côté du Bosphore, entre la porte qu’ils appellent Egri & celle d’Andrinople, un reste de vieux bâtimens que les Grecs & les Turcs disent avoir été le palais du grand Constantin ; ce qui ne paroît pas vraisemblable, l’endroit étoit trop petit pour loger un Empereur & ses Officiers. L’Eglise patriarchale des Grecs est au-deçà du palais de Constantinople, en approchant du port & de la mosquée du Sultan Selim, dans le quartier que les Turcs appellent Balat, & que les Grecs appeloient Κυνηγὸς, parce que c’était le parc où les Empereurs se divertissoient à la chasse. Depuis l’angle qui est sur le port jusqu’aux sept tours, qui est le côté de la terre, les murs de la ville sont triples, avec de grosses tours distantes les unes des autres environ de 100 pas.

Constantinople n’a qu’un fauxbourg, qui est un peu au-delà de cette porte au fond du port, & au bas de la colline qui règne tout autour, où l’on fait & l’on vend des vases de terre sigillée. Il s’appelle Ayvensari vulgairement, & je crois que proprement c’est Yupunghisari, c’est-à-dire, la forteresse d’Yup, que les Turcs tiennent pour un de leurs plus célèbres Prophètes & un des plus vaillans Capitaines, qui, ayant combattu pour leur Religion, se soit signalé en ce lieu-là. Il y a une mosquée qui, au lieu de fontaine au milieu de son cloître, a une tribune de marbre élevée sur des piliers de même matière, où le Grand-Mufty ceint l’épée au Grand-Seigneur ; ce qui est comme la cérémonie du sacre des Rois parmi les Chrétiens.

Pour tourner de l’autre côté du port, il faut passer une petite rivière qui vient se décharger dans la mer après avoir arrosé une très-agréable prairie. Ensuite on rencontre une maison de plaisance du Grand-Seigneur, qui est bâtie sur le rivage du port, & est appelée Aym-serray, c’est-à-dire, le Serrail des miroirs, parce qu’elle est percée en tant d’endroits, qu’il semble que les murailles ne soient que des glaces de miroirs. L’Œmeydan, c’est-à-dire, la place des flèches est derrière les murs de ce Serrail, & les Turcs s’exercent en ce lieu à tirer de l’arc. Il y a des colonnes de marbre avec des inscriptions qu’on y a mises pour marquer les beaux & les grands coups. Proche delà, & parmi les cimetières des Turcs, est une tribune où ils viennent en procession faire leurs prières, lorsque la peste règne à Constantinople. Un peu au-deçà du serrail des miroirs, il y a des paux plantés au travers du pont, pour marquer l’endroit jusqu’où les grands vaisseaux peuvent avoir fond. Plus bas, où le port s’élargit, est le quartier de l’arsenal de la marine, appelé Cassun Bacha. Les galères du Grand-Seigneur y vont jeter l’ancre. Il y a six-vingt remises au rivage, sous les-