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pler le monde. Ils furent bientôt & aisément venus des pays du monde qui ne furent point inondés dans celui qui le fut, & pas une espèce ne se fût perdue, ou s’il y en avoit quelque espèce particulière dans le pays que le déluge dépeupla, il n’eût fallu conserver que celle-là. Si les eaux n’avoient inondé que les environs du Tigre & de l’Euphrate, elles n’auroient pas monté quinze coudées au dessus des plus hautes montagnes, elles ne pouvoient y monter sans se répandre sur toute la face de la terre, ou sans être soutenues par un miracle. Moïse eût marqué ce miracle, comme il a fait celui des eaux de la mer rouge, & celles du Jourdain soutenus comme une montagne, pour ouvrir un passage aux Israëlites. Exod. XIV. 22. Jos. III. 16.

On trouve, dans des lieux fort éloignés de l’Euphrate & du Tigre, comme en France, en Angleterre, dans les Pays-Bas, en Allemagne, en Suisse en Italie, &c. on trouve, dis-je, dans des lieux fort éloignés de la mer, dans des montagnes, & sur leur sommet, des arbres entiers enfoncés très-avant dans la terre, des dents, des os d’animaux, des poissons entiers, des coquillages de mer, des épis de blé, &c. pétrifiés. Tout ce qu’il y a de plus habiles Naturalistes conviennent que toutes ces choses n’ont pu être enterrées si avant dans la terre, aux endroits où on les trouve, que par le déluge, dont les eaux par leur effroyable quantité, par leur poids, par leur mouvement violent, pénétrèrent & bouleversèrent tout le corps de la terre, ou pour le moins toute la superficie, à une grande profondeur, & enterrèrent les corps qu’elles y trouvèrent, ou qu’elles y avoient transportés, les poissons, les coquillages, &c. qui s’y étoient répandus, & qui y restèrent quand les eaux se retirèrent. Voy. la Géographie physique de Woodvard, l’Hist. natur. du Northampton par Morthon, Mém. de Tr. de 1708. p. 512. & suiv. p. 583. 585. de 1709. p. 600. & suiv. p. 729. de 1711. p. 1616. de 1713. p. 51. 69. Voyez aussi ci-dessus au mot Coquillage. Tout cela montre l’universalité du déluge.

Saint Pierre, dans sa première Ep. C. III. v. 20. dit qu’il n’y eut que huit personnes sauvées, c’est-à-dire, Noé & sa femme, ses trois fils & leurs trois femmes. Le même Apôtre, dans sa 2e Ep. C. III. v. 5. dit qu’au déluge le monde périt par les eaux. Or le monde dans l’Ecriture ne signifie pas seulement un petit coin de la terre, mais toute la terre, & l’on ne peut l’entendre autrement. De plus il répond à des gens qui parloient du monde en général & de la constitution générale du monde. Enfin il dit que Dieu rétablit les cieux & la terre dans l’état où ils sont pour les réserver au feu à la fin des siècles. Ces cieux, cette terre rétablis, ne sont pas seulement une petite partie de la terre ; ce sont ceux-mêmes qui sont réservés pour le feu au jour du jugement ; or c’est toute la terre qui y est réservée, &, selon Saint Pierre, la destruction des eaux au temps du déluge ne fut pas moins universelle que celle du feu le sera au jour du jugement. Il y a une Géographie Physique d’un Anglois nommé Woodvard, qui est pleine de Recherches sur les effets du déluge.

Il y a une médaille Grecque de Philippe, ΑΥΤΚ ΙΟΥΛ ΦΙΛΙΠΠΟϹ ΑΥΓ, au revers de laquelle Falconieri. Antiquaire Italien, a cru voir une représentation du déluge de Deucalion. A droite de celui qui regarde la médaille, paroît une espèce d’arche portée sur les eaux, dans laquelle paroissent une homme & une femme, qu’il croit être Deucalion & Pyrrha ; à gauche sont un homme & une femme la main droite levée. C’est encore, dans le sentiment de cet Auteur, Deucalion & Pirrha dans l’action de jeter des pierres derrière eux, comme les Poëtes ont feint qu’ils le firent pour réparer le genre humain. Au-dessus de l’arche sont deux oiseaux, l’un appuyé sur l’arche, & l’autre volant, & tenant dans ses ongles, un rameau qu’il apporte du côté de l’arche. Sur le bas de l’arche on lit ΝΩΕ, que Falconieri prétend être le nom du Patriarche Noé, que les habitans d’Apamée ont mis sur cette médaille pour la rendre plus authentique, parce que les Payens n’ignoroient pas les Livres saints : sur-tout les Syriens, qui avoient été vaincus par David ; & que les Apaméens savoient que le Deucalion des Grecs étoit le véritable Noé des Hébreux. On lit autour de la médaille, ΕΠ. Μ. ΑΥ. ΑΛΕΞΑΝΔΡΟΥ Β ΑΡΧΙ ΑΠΑΜΩΝ. Je voudrois avoir vu cette médaille, pour m’assurer qu’elle n’est pas fausse, ou pour le moins falsifiée dans son revers.

Oleaster, Dominicain Portugais, Auteur du seizième siècle est le premier des Chrétiens qui ait révoqué en doute l’universalité du déluge. La Peyrere suivit ce sentiment, puis Abraham Vander Mill, Ministre Calviniste. Isaac Vossius fit assez connoître qu’il penchoit vers ce sentiment, qui de notre temps a été renouvelé par M. Burnet, Wisthon & P. Malsert de l’Ordre de la Charité.

Manéthon parle d’un déluge, après lequel Agathodémon traduisit les inscriptions composées par le premier Hermès ; mais, si l’on fait attention que Manéthon parle d’un déluge postérieur au premier Hermès qui n’a vécu, selon lui, que depuis Ménès, il est clair qu’il n’a point eu en vue le déluge de Noé. Dès qu’il n’a point eu en vue le déluge de Noé, le mot déluge ne peut plus signifier qu’une inondation du Nil, & seulement une inondation plus considérable que de coutume, puisqu’il la cite comme une époque. Alors, s’il est permis de conjecturer, on peut croire que cette inondation fut occasionnée par le tremblement de terre, arrivé sous le Roi Bochus à Bubaste. Il y périt beaucoup de monde ; & Manéthon, dans le Syncelle, a fait de cet événement une époque sous le règne de Bochus. Ce tremblement de terre fit vrai-semblablement déborder le Nil en rompant les digues. Elles étoient fort élevées à Bubaste, ville de la Basse-Egypte. Ammien Marcellin (liv. 22. c. 39.) emploie le mot déluge dans la même signification, par rapport à l’Egypte, sans désigner l’endroit de l’Egypte en particulier. Essai sur les Hiéroglyph. pag. 178.

☞ Par le ravage du déluge le globe de la terre fut non-seulement fracassé & brisé en mille endroits ; mais l’ébranlement & l’émotion qu’il souffrit, en changèrent la situation, en sorte que la terre est à présent posée obliquement sous le Zodiaque ; ce qui cause la diversité des saisons, selon le Docteur Burnet. Avant le déluge, dit-il, on n’étoit point exposé à cet importune variété.

☞ Ce que dit ici Burnet, aussi bien que tout ce qu’il avance dans son livre intitulé : Telluris Theoria Sacra, où il prétend expliquer le déluge sans miracle, selon le systême de Descartes, sont imaginations fausses & contraires à l’écriture, que Leidekker & d’autres Protestans mêmes ont réfutées.

Déluge, se dit aussi des inondations particulières, des débordemens, tel qu’étoit le déluge arrivé en Grèce du temps de Deucalion. Diluvium Deucalioneum. Ce déluge inonda seulement la Thessalie, & arriva l’an 1529. avant Jesus-Christ, la troisième année depuis la sortie des Israëlites selon sa Chronologie du P. Petau, Rat. Temp. P. I. L. I. C. 7. P. II. L. II. C. 9. Le déluge d’Ogygês arriva près de trois cens avant celui de Deucalion, 1020. avant la première Olympiade, 1796. avant Jésus-Christ, selon le même Auteur, Rat. Temp. P. I. L. I. C. 4. P. II. L. II. C. 5. Celui-ci ne ravagea que l’Attique. Telles furent encore les inondations qui en 1277. ravagèrent & couvrirent de la mer tout ce qu’on appelle aujourd’hui Golfe Dossart dans les Pays Bas, & en 1421. tout ce qui est entre le Brabant & la Hollande.

☞ On dit figurément un déluge de feu, un déluge de sang, un déluge de maux, &c. Le monde doit périr par un déluge de feu. Les volcans vomissent un déluge de feux & de cendres. Se baigner dans un déluge de sang. L’Empire Romain fut détruit par un déluge de barbares. C’étoit de là qu’étoient venus tous ces déluges d’armées qui avoient inondé la