Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XI.djvu/148

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des incidents, la grâce, l’élégance, l’action des figures ; la vigueur de la couleur, la pureté du dessin, mais surtout l’harmonie et le sortilége de l’ensemble : rien de négligé, rien de confus ; c’est la loi de la nature riche sans profusion, et produisant les plus grands phénomènes avec la moindre quantité de dépense. Il y a des nuées ; mais un ciel, qui devient orageux ou qui va cesser de l’être, n’en assemble pas davantage. Elles s’étendent ou se ramassent et se meuvent ; mais c’est le vrai mouvement, l’ondulation réelle qu’elles ont dans l’atmosphère ; elles obscurcissent ; mais la mesure de cette obscurité est juste. C’est ainsi que nous avons vu cent fois l’astre de la nuit en percer l’épaisseur. C’est ainsi que nous avons vu sa lumière affaiblie et pâle trembler et vaciller sur les eaux. Ce n’est point un port de mer que l’artiste a voulu peindre.

« L’artiste !

— Oui, mon ami, l’artiste. Mon secret m’est échappé ; et il n’est plus temps de recourir après : entraîné par le charme du Clair de lune de Vernet, j’ai oublié que je vous avais fait un conte jusqu’à présent, et que je m’étais supposé devant la nature (et l’illusion était bien facile), puis tout à coup je me suis retrouvé de la campagne au Salon.

— Quoi ! me direz-vous, l’instituteur, ses deux petits élèves, le déjeuner sur l’herbe, le pâté, sont imaginés ?

È vero.

— Ces différents sites sont des tableaux de Vernet ?

Tu l’hai detto.

— Et c’est pour rompre l’ennui et la monotonie des descriptions que vous en avez fait des paysages réels, et que vous avez encadré des paysages dans des entretiens ?

A maraviglia ; bravo ; ben sentito. Ce n’est donc plus de la nature, c’est de l’art ; ce n’est plus de Dieu, c’est de Vernet que je vais vous parler. »

Ce n’est point, vous disais-je, un port de mer qu’il a voulu peindre. On ne voit pas ici plus de bâtiments qu’il n’en faut pour enrichir et animer la scène. C’est l’intelligence et le goût ; c’est l’art qui les a distribués pour l’effet ; mais l’effet est produit sans que l’art s’aperçoive. Il y a des incidents, mais pas plus que l’espace et le moment de la composition n’en exigent. C’est, vous le répéterai-je, la richesse et la parcimonie de Na-