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en présence de leurs divinités ; et à commettre, pour les honorer ou pour leur complaire, quelque action inhumaine et brutale ; qu’ils refusent d'obéir, s’ils sont vertueux, et qu’ils ne permettent point aux vains applaudissements de la coutume, ou aux oracles imposteurs de la superstition, d’étouffer les cris de la nature et les conseils de la vertu. Toutes ces actions, que l’humanité[1] proscrit, seront toujours des horreurs, en dépit des coutumes barbares, des [lois capricieuses, et des faux cultes qui les auront ordonnées. Mais rien ne peut altérer les lois éternelles de la justice.


SECTION IV.


Les créatures qui ne sont affectées que par les objets sensibles, sont bonnes ou mauvaises, selon que leurs affections sensibles sont bien ou mal ordonnées. Mais c’est tout autre chose dans les créatures capables de trouver dans le bien ou le mal moral des motifs raisonnés de tendresse ou d’aversion ; car, dans un individu de cette espèce, quelque déréglées que soient les affections sensibles, le caractère sera bon et l’individu vertueux, tant que ces penchants libertins demeureront subordonnés aux affections réfléchies dont nous avons parlé.

Il y a plus. Si le tempérament est bouillant, colère, amoureux ; et si la créature, domptant ces passions, s’attache à la vertu, en dépit de leurs efforts, nous disons alors que son mérite en est d’autant plus grand ; et nous avons raison. Si toutefois l’intérêt


    stition que ces païens, dont il dit dans son Traité merveilleux de la Cité de Dieu : Tantus est perturbatœ mentis et sedibus suis pulsœ furor, ut sic dei placentur quemadmodum ne homines quidem sœviunt. (Diderot.)

  1. La hardiesse d’un Égyptien, esprit fort, qui, bravant la doctrine du sacré collège, eût refusé de porter son hommage à des êtres destinés à sa nourriture, et d’adorer un chat, un crocodile, un oignon, eût été pleinement justifiée par l’absurdité de cette croyance. Tout dogme qui conduit à des infractions grossières de la loi naturelle ne peut être respecté en sûreté de conscience. Lorsque la nature et la morale se récrient contre la voix des ministres, l’obéissance est un crime. Qui niera que le crédule Égyptien, qui, pour donner du secours à son Dieu, eût laissé périr son père, n’eût été un vrai parricide ? Si l’on me dit jamais : trahis, vole, pille, tue, c’est ton Dieu qui l’ordonne ; je répondrai sans examen : trahir, voler, piller, tuer, sont des crimes ; donc Dieu ne me l’ordonne pas. La pureté de la morale peut faire présumer la vérité d’un culte ; mais si la morale est corrompue, le culte qui préconise cette dépravation est démontré faux. Quel avantage cette réflexion seule ne donne-t-elle pas au christianisme sur toutes les autres religions ! Quelle morale comparable à celle de Jésus-Christ ! (Diderot.)