Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/114

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directement. Déplacer ce qui nous est naturel, c’est l’ouvrage d’une longue habitude ; autre nature. Or, la distinction d’injustice et d’équité nous est originelle : apercevoir dans les êtres intellectuels et moraux laideur et beauté, c’est une opération aussi naturelle, et peut-être antérieure dans notre esprit à l’opération semblable sur les êtres organisés. Il n’y a donc qu’un exercice contraire qui puisse la troubler pour toujours ou la suspendre pour un temps.

Nous savons tous que si, par défaut de conformation, par accident ou par habitude, on prend une contenance désagréable, on contracte un tic ridicule, on affecte quelque geste choquant, toute l’attention, tous les soins, toutes les précautions qu’un désir sincère de s’en défaire peut suggérer, suffisent à peine pour en venir à bout. La nature est bien autrement opiniâtre. Elle s’afflige et s’irrite sous le joug, toujours prête à le secouer : c’est un travail sans fin que de la maîtriser. L’indocilité de l’esprit est prodigieuse, surtout quand il est question des sentiments naturels et de ces idées anticipées, telles que la distinction de la droiture et de l’injustice. On a beau les combattre et se tourmenter, ce sont des hôtes intraitables contre lesquels il faut recourir aux grands expédients, aux dernières violences. La plus extravagante superstition, l’opinion nationale la plus absurde, ne les excluront jamais parfaitement.

Comme le déisme, le théisme, l’athéisme, et même le démonisme, n’ont aucune action immédiate et directe relativement à la distinction morale de la droiture et de l’injustice ; comme tout culte, soit impie, soit religieux, n’opère sur cette idée naturelle et première que par l’intervention et la révolte des autres affections, nous ne parlerons de l’effet de ces hypothèses que dans la troisième section, où nous examinerons l’accord ou l’opposition des affections avec le sentiment naturel par lequel nous distinguons la droiture de l’injustice.

SECTION II.
second effet.
Dépraver le sentiment naturel de la droiture et de l’injustice.

Cet effet ne peut être que le fruit de la coutume et de l’éducation, dont les forces se réunissent quelquefois contre celles