Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/115

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de la nature, comme on peut le remarquer dans ces contrées où l’usage et la politique encouragent par des applaudissements, et consacrent par des marques d’honneur, des actions naturellement odieuses et déshonnêtes. C’est à l’aide de ces prestiges qu’un homme, se surmontant lui-même, s’imagine servir sa patrie, étendre la terreur de sa nation, travailler à sa propre gloire, et faire un acte héroïque, en mangeant, en dépit de la nature et de son estomac, la chair de son ennemi.

Mais pour en venir aux différents systèmes concernant la divinité, et à l’effet qu’ils produisent dans ce cas :

D’abord, il ne paraît pas que l’athéisme ait aucune influence diamétralement contraire à la pureté du sentiment naturel de la droiture et de l’injustice. Un malheureux, que cette hypothèse aura jeté et entretenu dans une longue habitude de crimes, peut avoir les idées de justice et d’honnêteté fort obscurcies ; mais elle ne le conduit point par elle-même à regarder comme grande et belle une action vile et déshonnête. Ce système, moins dangereux en ceci seulement que la superstition, ne prêche point qu’il est beau de s’accoupler avec des animaux, ou de s’assouvir de la chair de son ennemi. Mais il n’y a point d’horreurs, point d’abominations qui ne puissent être embrassées comme des choses excellentes, louables et saintes, si quelque culte dépravé les ordonne[1].

  1. Sans entrer dans un long détail sur cette matière, je citerai seulement deux exemples, qu’on lit chap. ii, sect. ix, page 29, de l'Essai philosophique sur l’Entendement humain. Il est difficile de se refuser au témoignage d’un voyageur, lorsqu’il est scellé de l’autorité d’un écrivain tel que Locke. Les Topinambous ne connaissent pas de meilleurs moyens pour aller en paradis, que de se venger cruellement de leurs ennemis, et d’en manger le plus qu’ils peuvent. Ceux que les Turcs canonisent et mettent au nombre des saints, mènent une vie qu’on ne peut rapporter sans blesser la pudeur. Il y a, sur ce sujet, un endroit fort remarquable dans le Voyage de Baumgarten. Comme ce livre est assez rare, je transcrirai ici le passage tout au long, dans la même langue qu’il a été publié. Ibi (scil. prope Belbes in Ægypto) vidimus sanctum unum Saracenicum inter arenarum cumulos, ita ut ex utero matris prodiit, nudum sedentem. Mos est, ut didicimus, Mahometistis, ut eos qui amentes et sine ratione sunt, pro sanctis colant et venerentur. Insuper et eos qui, cum diu vitam egerint inquinatissimam, voluntariam demum pœnitentiam et paupertatem, sanctitate venerandos deputant. Ejusmodi vero genus hominum libertatem quamdam effrœnem habent, domos quas volunt intrandi, edendi, bibendi, et quod majus est concumbendi : ex quo concubitu si proles secuta fuerit, sancta similiter habetur. His ergo hominibus dum vivunt magnos exhibent honores ; mortuis vero vel templa vel monumenta exstruunt amplissima, eosque sepelire vel contingere maximœ fortunœ ducunt loco. Audivimus hœc dicta et dicenda per