Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/124

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idées les plus profondes de vertu : mais si l’esprit n’avait aucune digue à leur opposer, elles produiraient infailliblement ce ravage, et le meilleur caractère se dépraverait à la longue. La religion y pourvoit : elle crie incessamment que ces affections et toutes les actions qu’elles produisent, sont maudites et détestables aux yeux de Dieu : sa voix consterne le vice et rassure la vertu ; le calme renaît dans l’esprit ; il aperçoit le danger qu’il a couru, et s’attache plus fortement que jamais aux principes qu’il était sur le point d’abandonner.

La crainte des peines et l’espoir des récompenses sont encore propres à raffermir celui que le partage des affections fait chanceler dans la vertu. Je dis plus : quand une fois l’esprit est imbu d’idées fausses, et lorsque la créature, entêtée d’opinions absurdes, se raidit contre le vrai, méconnaît le bon, porte son estime, et donne la préférence au vice, sans la crainte des peines et l’espoir des récompenses, il n’y a plus de retour.

Imaginez un homme qui ait quelque bonté naturelle et de la droiture dans le caractère, mais né avec un tempérament lâche et mou, qui le rende incapable de faire face à l’adversité et de braver la misère ; vient-il par malheur à subir ces épreuves, le chagrin s’empare de son esprit ; tout l’afflige, il s’irrite, il s’emporte contre ce qu’il imagine être la cause de son infortune. Dans cet état, s’il s’offre à sa pensée, ou si des amis corrompus lui suggèrent que sa probité est la source de ses peines, et que, pour se réconcilier avec la fortune, il n’a qu’à rompre avec la vertu, il est certain que l’estime qu’il porte à cette qualité s’affaiblira à mesure que le trouble et les aigreurs augmenteront dans son esprit, et qu’elle s’éclipsera bientôt, si la considération des biens futurs, dont la vertu lui promet la jouissance en dédommagement de ceux qu’il regrette, ne le soutient contre les pensées funestes qui lui viennent, ou les mauvais avis qu’il reçoit, ne suspend la dépravation imminente de son caractère, et ne le fixe dans ses premiers principes.

Si, par de faux jugements, on a pris quelques vices en affection, et les vertus contraires en dédain ; si, par exemple, on regarde le pardon des injures comme une bassesse, et la vengeance comme un acte héroïque, on préviendrait peut-être les suites de cette erreur, en considérant que la douceur porte avec elle sa récompense, dans la tranquillité et les autres avantages