Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/125

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qu’elle procure et que la rancune détruit. C’est par cet utile artifice que la modestie, la candeur, la sobriété et d’autres vertus, quelquefois méprisées, pourraient rentrer dans l’estime, et les passions opposées dans le mépris, qui leur sont dus, et qu’on parviendrait avec le temps à pratiquer les unes et à détester les autres, sans le moindre égard pour les plaisirs ou pour les peines qui les accompagnent.

C’est par ces raisons que rien n’est plus avantageux, dans un État, qu’une administration vertueuse et qu’une équitable distribution des punitions et des récompenses. C’est un mur d’airain contre lequel se brisent presque toujours les complots des méchants ; c’est une digue qui tourne leurs efforts au bien de la société ; c’est plus que tout cela, c’est un moyen sûr d’attacher les hommes à la vertu, en attachant à la vertu leur intérêt particulier ; d’écarter tous les préjugés qui les en éloignent ; de lui préparer dans leurs cœurs un accueil favorable, et de les mettre, par une pratique constante du bien, dans un sentier dont on ne les détournerait pas sans peine. S’il arrivait qu’un peuple, arraché au despotisme et à la barbarie, policé par des lois, et devenu vertueux dans le cours d’une administration équitable, retombât brusquement sous un gouvernement arbitraire, tel que celui des peuples orientaux, sa vertu s’irritant dans les fers, il n’en sera que plus prompt à les secouer et que plus propre à les rompre. Si toutefois la tyrannie et ses artifices viennent à prévaloir, et si ce peuple perd toute liberté, avant qu’une injuste distribution des récompenses et des châtiments lui aient ôté le sentiment de cette injure, avant que l’habitude l’ait fait à sa chaîne, les semences dispersées de sa vertu première pousseront des racines qu’on distinguera jusque dans les générations suivantes.

Mais quoique la distribution équitable des récompenses et des punitions soit dans un gouvernement une cause essentielle de la vertu d’un peuple, nous remarquerons que l’exemple plus efficace encore décide ses inclinations[1], et forme son caractère.

  1. Tous les moralistes ne sont pas de cet avis : « Telle est, dit un d’entre eux dans son Projet pour l’avancement de la religion, la perversité des hommes, que le seul exemple d’un prince vicieux entraînera bientôt la masse générale de ses sujets, et que la conduite exemplaire d’un monarque vertueux n’est pas capable de les réformer, si elle n’est soutenue d’autres expédients. Il faut donc que le