Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/132

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Mais le théiste est persuadé que, « quelque effet que l’ordre qui règne dans l’univers ait produit, il ne peut être que bon. » Cela suffit. Le voilà prêt à regarder sans horreur les plus affreuses calamités, et à supporter sans murmure ces événements qui ne semblent être faits que pour rendre à toute créature sensible et raisonnable sa condition incommode et son existence odieuse. Ce n’est pas tout. Son système peut le conduire à une réconciliation plus entière : il chérira son état actuel ; car, qui l’empêche, en étendant ses idées, de sortir de son espèce, et de regarder le fléau qui l’afflige comme le bonheur d’une patrie moins étroite dont il est membre, et dont il doit aimer les avantages en citoyen généreux et fidèle ?

Ce tour d’affection doit produire la plus héroïque constance qu’un homme puisse montrer dans un état de souffrance, et le résoudre de la façon la plus généreuse, aux entreprises que l’honneur et la vertu peuvent exiger. À travers ce télescope, on aperçoit les accidents particuliers, les injustices et les méchancetés, dans un jour qui dispose à les tolérer, et à conserver dans le cours de la vie toute l’égalité possible. Ce tour d’affection et ce télescope moral sont donc vraiment excellents ; et la créature qui les possède est bonne et vertueuse par excellence ; car tout ce qui tend à attacher la créature à son rôle dans la société, et à l’animer d’un zèle plus qu’ordinaire pour le bien général de son espèce, est sans contredit en elle le germe d’une vertu peu commune.

Un fait constant, c’est que, par une espèce de sympathie, le sentiment et l’amour de l’harmonie, des proportions et de l’ordre, en quelque genre que ce puisse être, redresse le tempérament, fortifie les affections sociales, et soutient la vertu, qui n’est elle-même qu’un amour de l’ordre, des proportions et de l’harmonie dans les mœurs et dans la conduite. Dans les sujets les plus frivoles, l’ordre frappe et se fait approuver ; mais si c’est une fois l’ordre et la beauté de l’univers qui soient les objets de notre admiration et de notre amour, nos affections partageront la grandeur et la magnificence du sujet ; et l’élégante sensibilité pour le beau, disposition si favorable à la vertu, nous conduira jusqu’à l’extase[1]. En effet, tandis qu’un peu d’harmonie

  1. Est enim animorum ingeniorumque naturale quoddam quasi pabulum consideratio, contemplatioque naturœ. Erigimur, elatiores fieri videmur, humana