Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/153

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La satisfaction de communiquer ses plaisirs ne peut être ignorée que d’une créature affligée d’une dépravation originelle et totale. Je passe donc à la satisfaction de partager le bonheur des autres, et de le ressentir avec eux ; à ces plaisirs que nous recueillons de la félicité des créatures qui nous environnent, soit par les récits que nous en entendons, soit par l’air, les gestes et les sons qui nous en instruisent, ces créatures fussent-elles d’une espèce différente, pourvu que les signes caractéristiques de leur joie soient à notre portée. Les plaisirs de participation sont si fréquents et si doux, qu’en parcourant de bonne foi tous les quarts d’heure amusants de la vie, on conviendra que ces plaisirs en ont rempli la plus grande et la plus délicieuse partie.

Quant au témoignage qu’on se rend à soi-même de mériter l’estime et l’amitié de ses semblables, rien ne contribue davantage à la satisfaction de l’esprit et au bonheur de ceux mêmes à qui l’on donne le nom de voluptueux, dans la signification la plus vile. Les créatures qui se piquent le moins de bien mériter de leur espèce font parade, dans l’occasion, d’un caractère droit et moral. Elles se complaisent dans l’idée de valoir quelque chose ; idée chimérique à la vérité, mais qui les flatte, et qu’elles s’efforcent d’étayer en elles-mêmes, en se dérobant, à la faveur de quelques services rendus à un ou deux amis, une conduite peine d’indignités.

Quel brigand, quel voleur de grands chemins, quel infracteur déclaré des lois de la société n’a pas un compagnon, une société de gens de son espèce, une troupe de scélérats comme lui, dont les succès le réjouissent, à qui il fait part de ses prospérités, qu’il traite d’amis, et dont il épouse les intérêts comme les siens propres ? Quel homme au monde est insensible aux caresses et à la louange de ses connaissances intimes ? Toutes nos actions n’ont-elles pas quelque rapport à ce tribut ? Les applaudissements de l’amitié n’influent-ils pas sur toute notre conduite ? n’en sommes-nous pas même jaloux pour nos vices ? n’entrent-ils pour rien dans la perspective de l’ambition, dans les fanfaronnades de la vanité, dans les profusions de la somptuosité, et même dans les excès de l’amour déshonnête ? En un mot, si les plaisirs se calculaient, comme beaucoup d’autres choses, on pourrait assurer que ces deux sources, la participation au bon-