Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/182

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robuste de ces corps endurcis au travail, et la complexion efféminée de ces automates nourris sur le duvet. Mais la fainéantise ne borne pas ses influences au corps : en dépravant les organes, elle amortit les plaisirs sensuels. Des sens, la corruption se transmet à l’esprit, et c’est là qu’elle excite bien un autre ravage. Ce n’est qu’à la longue que la machine éprouve des effets sensibles de l’oisiveté ; mais l’indolence afflige l’âme tout en l’occupant ; elle s’en empare avec les anxiétés, l’accablement, les ennuis, les aigreurs, les dégoûts et la mauvaise humeur : c’est à ces mélancoliques compagnes qu’elle abandonne le tempérament ; état dont nous avons parlé et exposé la misère, en établissant combien l’économie des affections est nécessaire au bonheur.

Nous avons remarqué que, dans l’inaction du corps, les esprits animaux, privés de leurs fonctions naturelles, se jettent sur la constitution, et détruisent leurs canaux en exerçant leur activité ; image fidèle de ce qui se passe dans l’âme de l’indolent. Les affections et les pensées détournées de leurs objets, et contraintes dans leur action, s’irritent et engendrent l’aigreur, la mélancolie, les inquiétudes, et cent autres pestes du tempérament. Alors le flegme s’exhale ; la créature devient sensible, colère, impétueuse ; et dans ces dispositions inflammables, la moindre étincelle suffit pour mettre tout en feu.

Quant aux intérêts particuliers de la créature, que ne risque-t-elle pas ? Être environnée d’objets et d’affaires qui demandent de l’attention et des soins, et se trouver dans l’incapacité d’y pourvoir, quel état ! quelle foule d’inconvénients, de ne pouvoir s’aider soi-même, et de manquer souvent de secours étrangers ! C’est le cas de l’indolent, qui n’a jamais cultivé personne ; et à qui les autres sont d’autant plus nécessaires, que, dans l’ignorance de tous les devoirs de la société, où son vice l’a retenu, il est plus inutile à lui-même. Ce penchant décidé pour la paresse, ce mépris du travail, cette oisiveté raisonnée, est donc une source intarissable de chagrins, et, par conséquent, un puissant obstacle au bonheur.

Nous avons parcouru les affections privées, et remarqué les inconvénients de leur véhémence. Nous avons prouvé que leur excès était contraire à la félicité, et qu’elles précipitaient dans une misère actuelle la créature qu’elles dépravaient ; que leur