Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/210

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m’affliger sérieusement de n’avoir pas quatre yeux, quatre pieds et deux ailes.

XXIX.

On doit exiger de moi que je cherche la vérité, mais non que je la trouve. Un sophisme ne peut-il pas m’affecter plus vivement qu’une preuve solide ? Je suis nécessité de consentir au faux que je prends pour le vrai, et de rejeter le vrai que je prends pour le faux : mais, qu’ai-je à craindre, si c’est innocemment que je me trompe ? L’on n’est point récompensé dans l’autre monde, pour avoir eu de l’esprit dans celui-ci : y serait-on puni pour en avoir manqué ? Damner un homme pour de mauvais raisonnements, c’est oublier qu’il est un sot pour le traiter comme un méchant.

XXX.

Qu’est-ce qu’un sceptique ? C’est un philosophe qui a douté de tout ce qu’il croit, et qui croit ce qu’un usage légitime de sa raison et de ses sens lui a démontré vrai. Voulez-vous quelque chose de plus précis ? rendez sincère le pyrrhonien, et vous aurez le sceptique.

XXXI.

Ce qu’on n’a jamais mis en question n’a point été prouvé. Ce qu’on n’a point examiné sans prévention n’a jamais été bien examiné. Le scepticisme est donc le premier pas vers la vérité. Il doit être général, car il en est la pierre de touche. Si, pour s’assurer de l’existence de Dieu, le philosophe commence par en douter, y a-t-il quelque proposition qui puisse se soustraire à cette épreuve ?

XXXII.

L’incrédulité est quelquefois le vice d’un sot, et la crédulité le défaut d’un homme d’esprit. L’homme d’esprit voit loin dans l’immensité des possibles ; le sot ne voit guère de possible que ce qui est. C’est là peut-être ce qui rend l’un pusillanime, et l’autre téméraire.