Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/221

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J’approche, je regarde, et je vois un petit boiteux[1] qui se promène à l’aide de trois ou quatre personnes charitables qui le soutiennent ; et le peuple qui s’en émerveille, de répéter : miracle ! miracle ! Où donc est le miracle, peuple imbécile ? Ne vois-tu pas que ce fourbe n’a fait que changer de béquilles ? Il en était, dans cette occasion, des miracles, comme il en est toujours des esprits. Je jurerais bien que tous ceux qui ont vu des esprits, les craignaient d’avance, et que tous ceux qui voyaient là des miracles, étaient bien résolus d’en voir.

LIV.

Nous avons toutefois, de ces miracles prétendus, un vaste recueil[2] qui peut braver l’incrédulité la plus déterminée. L’auteur est un sénateur, un homme grave qui faisait profession d’un matérialisme[3] assez mal entendu, à la vérité, mais qui n’attendait pas sa fortune de sa conversion : témoin oculaire des faits qu’il raconte, et dont il a pu juger sans prévention et sans intérêt, son témoignage est accompagné de mille autres. Tous disent qu’ils ont vu, et leur déposition a toute l’authenticité possible : les actes originaux en sont conservés dans les archives publiques. Que répondre à cela Que répondre ? que ces miracles ne prouvent rien, tant que la question de ses sentiments ne sera point décidée.

LV.

Tout raisonnement qui prouve pour deux partis, ne prouve ni pour l’un ni pour l’autre. Si le fanatisme a ses martyrs, ainsi que la vraie religion, et si, entre ceux qui sont morts pour

  1. Les boiteux sont les infirmes les mieux préparés à l’action miraculeuse, si l’on s’en rapporte au nombre prodigieux de béquilles qui encombrent les sanctuaires consacrés à ces guérisons extraordinaires. Ici, il peut s’agir, soit de l’abbé Becheran, — mais il faisait un saut de carpe dont Diderot ne parle pas, — soit de Philippe Sergent, frappé d’une paralysie complète sur la jambe et sur la cuisse droite, et presque complète sur le bras et sur la main du même côté ; affecté d’une ankylose au genou ; fatigué d’un tremblement continuel dans le côté gauche ; affligé d’un obscurcissement de vue qui lui laissait à peine entrevoir les objets ; guéri en un moment de toutes ces maladies sur le tombeau de M. de Pâris, le 10 juillet 1731.
  2. Celui dont nous avons donné le titre, p. 150.
  3. Montgeron, qui fait sa confession à cet égard, avait été subitement converti à Saint Médard et c’est le premier miracle qu’il enregistre.