Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/223

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

persécuterait volontiers ceux qui travaillent à décrier les mauvaises. Quoi donc ! n’est-ce pas assez que l’on soit chrétien ; faut-il encore l’être par de mauvaises raisons ? Dévots, je vous en avertis ; je ne suis pas chrétien parce que saint Augustin l’était ; mais je le suis, parce qu’il est raisonnable de l’être.

LVIII.

Je connais les dévots ; ils sont prompts à prendre l’alarme. S’ils jugent une fois que cet écrit contient quelque chose de contraire à leurs idées, je m’attends à toutes les calomnies qu’ils ont répandues sur le compte de mille gens qui valaient mieux que moi. Si je ne suis qu’un déiste et qu’un scélérat, j’en serai quitte à bon marché. Il y a longtemps qu’ils ont damné Descartes, Montaigne, Locke et Bayle ; et j’espère qu’ils en damneront bien d’autres. Je leur déclare cependant que je ne me pique d’être ni plus honnête homme, ni meilleur chrétien que la plupart de ces philosophes. Je suis né dans l’Église catholique, apostolique et romaine ; et je me soumets de toute ma force à ses décisions. Je veux mourir dans la religion de mes pères, et je la crois bonne autant qu’il est possible à quiconque n’a jamais eu aucun commerce immédiat avec la Divinité, et qui n’a jamais été témoin d’aucun miracle. Voilà ma profession de foi ; je suis presque sûr qu’ils en seront mécontents, bien qu’il n’y en ait peut-être pas un entre eux qui soit en état d’en faire une meilleure.

LIX.

J’ai lu quelquefois Abbadie, Huet[1], et les autres. Je connais suffisamment les preuves de ma religion, et je conviens qu’elles sont grandes ; mais le seraient-elles cent fois davantage, le christianisme ne me serait point encore démontré. Pourquoi donc exiger de moi que je croie qu’il y a trois personnes en Dieu, aussi fermement que je crois que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits ? Toute preuve doit produire en moi une certitude proportionnée à son degré de force ; et l’action

  1. Abbadie, Traité de la vérité de la religion chrétienne, 1729, réimprimé encore en 1826 ; Huet, Traité philosophique de la faiblesse de l’esprit humain, 1728.