Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/252

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après avoir établi les moyens de sa cause, s’était avisé de conclure à ce que la réplique fût interdite à sa partie, quelle étrange idée n’eût-il pas donnée de son droit ! Que l’esprit d’intolérance anime les Mahométans ; qu’ils maintiennent leur religion par le fer et par le feu, ils sont conséquents ; mais que des gens qui se disent imitateurs d’un maître qui apporta dans le monde une loi d’amour, de bienveillance et de paix, la protègent à main armée, c’est ce qui n’est pas supportable. Ont-ils donc oublié l’aigreur avec laquelle il réprimanda ces disciples impétueux qui le sollicitaient d’appeler le feu du ciel sur des villes qu’ils n’avaient point eu le talent de persuader ? En un mot, les raisonnements de l’esprit fort sont-ils solides, on a tort de les combattre ; sont-ils mauvais, on a tort de les redouter.

— On pourrait vous répondre, reprit Cléobule, qu’il y a des préjugés dans lesquels il est important d’entretenir le peuple.

— Et quels ? lui répartis-je vivement. Quand un homme admet une fois l’existence d’un Dieu, la réalité du bien et du mal moral, l’immortalité de l’âme, les récompenses et les châtiments à venir, qu’a-t-il besoin de préjugés ? Lorsqu’il sera profondément initié dans les mystères de la transsubstantiation, de la consubstantiation, de la Trinité, de l’union hypostatique, de la prédestination, de l’incarnation, et le reste, en sera-t-il meilleur citoyen ? Quand il saurait cent fois mieux que le sorboniste le plus habile, si les trois personnes divines sont trois substances distinctes et différentes ; si le Fils et le Saint-Esprit sont tout-puissants, ou s’ils sont subordonnés à Dieu le Père ; si l’union des trois personnes consiste dans la connaissance intime et mutuelle qu’elles ont de leurs pensées et de leurs desseins ; s’il n’y a point de personnes en Dieu ; si le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont trois attributs de la Divinité, sa bonté, sa sagesse et sa puissance ; si ce sont trois actes de sa volonté, la création, la rédemption et la grâce ; si ce sont deux actes ou deux attributs du Père, la connaissance de lui-même, par laquelle le Fils est engendré, et son amour pour le Fils, d’où procède le Saint-Esprit ; si ce sont trois relations d’une même substance, considérée comme incréée, engendrée et produite ; ou, si ce ne sont que trois dénominations, en serait-il plus honnête homme ? Non, mon cher Cléobule, il concevrait toute la vertu secrète de la personnalité, de la consubstantialité, de