Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/271

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mots entre ses dents, et les étangs de M. le baron se trouvent empoisonnés. Le lendemain il jette un sort sur les brebis et les chevaux. Un autre jour il donne au seigneur et à tous les siens la gratelle et la diarrhée. Après maint autre tour, il fait mourir du charbon son fils aîné et tous les grands garçons du village. Bref, le seigneur consent à les laisser aller : ils partent, mais après avoir démeublé son château et pillé le reste des habitants. Le gentilhomme, piqué de ce dernier trait, monte à cheval et les poursuit à la tête de ses valets. Nos bandits avaient heureusement passé une rivière à gué ; et plus heureusement encore pour eux, leur ancien maître, qui ne la connaissait guère, tenta de la traverser un peu au-dessous, et s’y noya avec presque tout son monde.

36. Avant que de gagner le canton dont leur chef les avait leurrés, ils errèrent dans des déserts où le sorcier les amusa si longtemps qu’ils y périrent tous. Ce fut dans cet intervalle qu’il se désennuya à faire une histoire à sa nation, et à composer la première partie du code.

37. Son histoire est toute fondée sur les récits que faisaient sous la cheminée les grands-pères à leurs enfants, d’après les narrations verbales de leurs grands-pères, et ainsi de suite jusqu’au premier. Secret infaillible pour ne point altérer la vérité des événements !

38. Il raconte comme quoi notre souverain, après avoir fondé le siège de son empire, prit un peu de limon, souffla dessus, l’anima, et fit le premier soldat ; comment la femme qu’il lui donna fit un mauvais repas et imprima à ses enfants et à tous ses descendants une tache noire qui les rendit odieux au prince ; comment le régiment se multiplia ; comment les soldats devinrent si méchants que le monarque les fit noyer tous, à la réserve d’une chambrée dont le chef était assez honnête homme ; comment les enfants de celui-ci repeuplèrent le monde, et se dispersèrent sur la surface de la terre : comment notre prince, devant qui il n’y a point d’acception de personnes, n’en agréa pourtant qu’une partie qu’il regarda comme son peuple, et comment il fit naître ce peuple d’une femme qui n’était plus en état d’avoir d’enfants, et d’un vieillard assez vert qui couchait de temps en temps avec sa servante. C’est là que commence proprement l’origine des premiers privilégiés dont je t’ai parlé,