Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/316

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peines, de soins, d’argent et de sollicitations lui a coûté la place de gentilhomme ordinaire qu’il n’a point obtenue ; à combien de portes il a fallu frapper ; les protections qu’il avait, celles qu’on lui promit, et toute la manœuvre qu’il avait mise en train pour y parvenir. Mais peut-être ignores-tu comment on la lui a soufflée. Écoute, et juge du reste des habitants de l’allée des fleurs.

48. Nous nous promenions Éros et moi ; il m’instruisait de ses démarches, lorsque nous fûmes abordés par Narcès. Je jugeai, aux caresses qu’ils se firent, que la liaison qui était entre eux était assez étroite. « Eh bien, lui dit Narcès, après les premiers compliments, et votre affaire, où en êtes-vous ? Elle est comme conclue, répondit Éros ; j’ai tout amené à bien, et je compte obtenir demain mon brevet. Vraiment j’en suis enchanté, lui repartit Narcès ; vous êtes un homme admirable pour mener vos projets à petit bruit. J’avais bien entendu dire que vous aviez la parole du ministre, et que la duchesse Victoria avait parlé pour vous ; mais je ne vous dissimulerai point que je croyais toujours que vous échoueriez. Je voyais tant d’obstacles à lever ; et comment, je vous prie, vous êtes-vous démêlé de ce labyrinthe ?

49. — Le voici, reprit ingénument Éros. Je me croyais fondé à demander une place que mon père avait occupée fort longtemps, et qui n’était sortie de ma famille que parce qu’en mourant il me laissa en trop bas âge pour lui succéder. Je sollicitai, j’épiai les occasions, et il s’en présenta plusieurs. Je mis le valet de chambre du ministre dans mes intérêts, et je me fis écouter de son maître. Je fus assidu à faire ma cour, et je me croyais fort avancé que je ne tenais encore rien. J’en étais là lorsque Méostris mourut. J’apprends qu’on se remue vivement pour sa place : je me mets sur les rangs ; je vais, je viens, et je rencontre un homme de province petit-cousin de la femme de chambre de la nourrice du prince : je me jette dans cette cascade ; je parviens à la nourrice ; elle s’engage à parler pour moi, et elle avait déjà parlé pour un autre. Je me raccroche à la petite Joconde ; j’avais entendu dire qu’elle était au ministre. Je cours chez elle, mais tout était rompu ; une autre même avait la survivance : c’était la danseuse Astérie. Voilà me dis-je à moi-même, la vraie porte à laquelle il faut frapper. Cet enga-