Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/416

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comme nous, que Condillac a placée dans son Traité des Sensations publié trois ans après la Lettre sur les Sourds et Muets. Dans sa Réponse à un reproche qui m’a été fait sur le projet exécuté dans le Traité des Sensations (Œuvres, tome III, page 321. Paris, Brière, 1821,) Condillac n’est point parvenu à se disculper ; et c’est à tort que de nos jours la Biographie universelle rapporte ce qui suit ; « On prétendit que cet ouvrage était dans les Lettres sur les Aveugles et sur les Sourds et Muets... Condillac fut sensible à cette imputation : il cita les deux morceaux de Diderot, et on vit que celui-ci n’avait pas fait le Traité des Sensations. » Personne n’a prétendu que Diderot eût fait le Traité de Condillac ; mais chacun a reconnu que Condillac avait puisé dans la Lettre de Diderot l’idée de sa statue. Suum cuique. »

Le même éditeur ajoute, et nous nous associons à cette seconde revendication avec plus de complaisance qu’à la première :

« Mais ce n’est point là le seul titre qu’il faille restituer à l’auteur de la Lettre sur les Sourds et Muets ; il en est un plus beau, plus digne d’un philosophe, et qu’il n’a pas moins mérité ; car, lui aussi, il a pu contribuer à replacer au niveau de leurs semblables ceux que la nature semblait en avoir écartés.

« C’est Diderot, dit M. Eusèbe Salverte dans l’Éloge qu’il lut, en l’an VIII, à l’Institut National, qui, peut-être, a eu l’honneur de fournir à Haüy, à de l’Épée, à Sicard, la première idée de leurs philanthropiques travaux. Il avait prévenu par la pensée les observations qu’ils ont faites depuis sur les Sourds-Muets et les Aveugles-nés : et ces observations sont assez multipliées aujourd’hui pour prouver qu’il a deviné juste. »

Ces deux observations nous paraissent suffisantes pour donner au lecteur une idée exacte de l’importance de cette Lettre qui en dit autant en quelques pages et comme incidemment que tout le Traité des sensations. C’est pour ne pas paraître plus royaliste que le roi que nous ferons remarquer que Diderot n’a jamais accusé Condillac de plagiat et l’a toujours cité avec éloge.

D’après les notes du Catalogue du marquis de Paulmy (Bibliothèque de l’Arsenal, Manuscrits) Diderot avouait moins volontiers cet ouvrage que la Lettre sur les aveugles. « Je ne sais pourquoi », ajoute le marquis. Peut-être était-ce parce qu’après l’emprisonnement à Vincennes, il n’était pas facile de désavouer la première de ces lettres et compromettant de se vanter de la seconde, quoique la rhétorique y tienne plus de place que la philosophie.

Le livre de l’abbé Batteux n’est point sans valeur.