Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/441

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inversion : Vous voudriez bien être de l’Académie française ? et moi aussi, car c’est un honneur, et le sage peut faire cas d’un honneur qu’il sent qu’il mérite. Je ne voudrais donc pas avancer généralement et sans distinction, que les Latins ne renversent point, et que c’est nous qui renversons. Je dirais seulement, qu’au lieu de comparer notre phrase à l’ordre didactique des idées, si on la compare à l’ordre d’invention des mots, au langage des gestes, auquel le langage oratoire a été substitué par degrés, il paraît que nous renversons, et que de tous les peuples de la terre, il n’y en a point qui ait autant d’inversions que nous. Mais que, si l’on compare notre construction à celle des vues de l’esprit assujetti par la syntaxe grecque ou latine, comme il est naturel de faire, il n’est guère possible d’avoir moins d’inversions que nous n’en avons. Nous disons les choses en français, comme l’esprit est forcé de les considérer en quelque langue qu’on écrive. Cicéron a, pour ainsi dire, suivi la syntaxe française avant que d’obéir à la syntaxe latine.

D’où il s’ensuit, ce me semble, que la communication de la pensée étant l’objet principal du langage, notre langue est de toutes les langues la plus châtiée, la plus exacte et la plus estimable ; celle, en un mot, qui a retenu le moins de ces négligences que j’appellerais volontiers des restes de la balbutie des premiers âges ; où, pour continuer le parallèle sans partialité, je dirais que nous avons gagné, à n’avoir point d’inversions, de la netteté, de la clarté, de la précision, qualités essentielles au discours ; et que nous y avons perdu de la chaleur, de l’éloquence et de l’énergie. J’ajouterais volontiers que la marche didactique et réglée à laquelle notre langue est assujettie, la rend plus propre aux sciences ; et que, par les tours et les inversions que le grec, le latin, l’italien, l’anglais se permettent, ces langues sont plus avantageuses pour les lettres. Que nous pouvons mieux qu’aucun autre peuple faire parler l’esprit, et que le bon sens choisirait la langue française ; mais que l’imagination et les passions donneront la préférence aux langues anciennes et à celles de nos voisins. Qu’il faut parler français dans la société et dans les écoles de philosophie ; et grec, latin, anglais, dans les chaires et sur les théâtres ; que notre langue sera celle de la vérité, si jamais elle revient sur la terre ; et que la grecque, la latine et les autres seront les langues de la fable et du