Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/454

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aux yeux, et lui apprend en deux mots la terrible nouvelle :

Δάκρυα θερμὰ χέων, φάτο δ᾽ ἀγγελίην ἀλεγεινήν.
. . . . . .
κεῖται Πάτροκλος,
etc.

Homer., Iliad., cant. xviii, vers 17 et 20.

« Patrocle n’est plus. On combat pour son cadavre. Hector a ses armes. » Il y a plus de sublime dans ces deux vers d’Homère que dans toute la pompeuse déclamation de Racine : « Achille, vous n’avez plus d’ami, et vos armes sont perdues… » À ces mots, qui ne sent qu’Achille doit voler au combat ? Lorsqu’un morceau pèche contre le décent et le vrai, il n’est beau ni dans la tragédie, ni dans le poëme épique. Les détails de celui de Racine ne convenaient que dans la bouche d’un poëte parlant en son nom, et décrivant la mort d’un de ses héros.

C’est ainsi que l’habile rhéteur nous instruisait. Il avait, certes, de l’esprit et du goût ; et l’on peut dire de lui que ce fut le dernier des Grecs. Mais ce Philopœmen des rhéteurs faisait ce qu’on fait aujourd’hui ; il remplissait d’esprit ses ouvrages, et il semblait réserver son goût pour juger des ouvrages des autres.

Je reviens à M. l’abbé de Bernis. A-t-il prétendu seulement que la description de Racine était déplacée ? C’est précisément ce que le Père Porée nous apprenait il y a trente à quarante ans. A-t-il accusé de mauvais goût l’endroit que je viens de citer ? L’idée est nouvelle ; mais est-elle juste ?

Au reste, on m’écrit encore qu’il y a dans le discours de M. l’abbé de Bernis des morceaux bien pensés, bien exprimés, et en grand nombre : vous en devez savoir là-dessus plus que moi, vous, monsieur, qui ne manquez aucune de ces occasions où l’on se promet d’entendre de belles choses. Si, par hasard, il ne se trouvait dans le discours de M. l’abbé de Bernis rien de ce que j’y viens de reprendre, et qu’on m’eût fait un rapport infidèle, cela n’en prouverait que mieux l’utilité d’une bonne lettre à l’usage de ceux qui entendent et qui parlent.

Partout où l’hiéroglyphe accidentel aura lieu, soit dans un vers, soit sur un obélisque, comme il est ici l’ouvrage de l’imagination, et là celui du mystère, il exigera, pour être entendu, ou une imagination, ou une sagacité peu communes. Mais s’il