Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/82

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est moins essentiel maintenant de connaître ses devoirs, ou qu’il est plus aisé de s’en acquitter. Un jeune homme, au sortir de son cours de philosophie, est jeté dans un monde d’athées, de déistes, de sociniens, de spinosistes et d’autres impies ; fort instruit des propriétés de la matière subtile et de la formation des tourbillons, connaissances merveilleuses qui lui deviennent parfaitement inutiles ; mais à peine sait-il des avantages de la vertu ce que lui en a dit un précepteur, ou des fondements de sa religion ce qu’il en a lu dans son catéchisme. Il faut espérer que ces professeurs éclairés, qui ont purgé la logique des universaux et des catégories, la métaphysique des entités et des quiddités, et qui ont substitué dans la physique l’expérience et la géométrie aux hypothèses frivoles, seront frappés de ce défaut, et ne refuseront pas à la morale quelques-unes de ces veilles qu’ils consacrent au bien public. Heureux, si cet essai trouve place dans la multitude des matériaux qu’ils rassembleront !

Le but de cet ouvrage est de montrer que la vertu est presque indivisiblement attachée à la connaissance de Dieu, et que le bonheur temporel de l’homme est inséparable de la vertu. Point de vertu, sans croire en Dieu ; point de bonheur sans vertu : ce sont les deux propositions de l’illustre philosophe dont je vais exposer les idées. Des athées qui se piquent de probité, et des gens sans probité qui vantent leur bonheur : voilà mes adversaires. Si la corruption des mœurs est plus funeste à la religion que tous les sophismes de l’incrédulité, et s’il est essentiel au bon ordre de la société que tous ses membres soient vertueux, apprendre aux hommes que la vertu seule est capable de faire leur félicité présente, c’est rendre à l’une et à l’autre un service important. Mais, de crainte que des préventions fondées sur la hardiesse de quelques propositions mal examinées n’étouffent les fruits de cet écrit, j’ai cru devoir en préparer la lecture par un petit nombre de réflexions, qui suffiront, avec les notes que j’ai répandues partout où je les ai jugées nécessaires, pour lever les scrupules de tout lecteur attentif et judicieux.

I. Il n’est question dans cet Essai que de la vertu morale ; de cette vertu que les saints Pères mêmes ont accordée à quelques philosophes païens ; vertu, que le culte qu’ils professaient, soit de cœur, soit en apparence, tendait à détruire de fond en comble, bien loin d’en être inséparable ; vertu, que la Providence