Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/97

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fection, et conséquemment un mal absolu dans le système général.

Si un être est absolument mauvais, il est tel relativement au système général ; et ce système est imparfait. Mais si le mal d’un système particulier fait le bien d’un autre système, si ce mal apparent contribue au bien général, comme il arrive lorsqu’une espèce subsiste par la destruction d’une autre ; lorsque la corruption d’un être en fait éclore un nouveau ; lorsqu’un tourbillon se fond dans un tourbillon voisin ; ce mal particulier n’est pas un mal absolu, non plus qu’une dent qui pousse avec douleur n’est un mal réel dans un système que cet inconvénient prétendu conduit à sa perfection.

Nous nous garderons donc de prononcer qu’un être est absolument mauvais, à moins que nous ne soyons en état de démontrer qu’il n’est bon dans aucun système[1].


    portionnées à la multitude des parties et à la grandeur du tout, pour parvenir à la démonstration. Mais si le tout est immense, si le nombre des parties est infini, devons-nous être surpris que cette union nous échappe souvent ? Quelle raison a-t-on d’en conclure qu’elle ne subsiste pas ? Je ne vois pas comment ce phénomène fatal à cette espèce est, par une suite de l’ordre universel des choses, avantageux à une autre espèce, donc l’ordre universel est une chimère. Voilà le raisonnement de ceux qui attaquent la nature. Voici maintenant la réponse et le raisonnement de ceux qui la défendent : je suis en état de démontrer que ce qui fait en mille occasions le mal d’un système, se tourne, par une suite merveilleuse de l’ordre universel, à l’avantage d’un autre ; donc, lorsque je n’ai pas la même évidence, par rapport à d’autres phénomènes semblables, ce n’est point altération dans l’ordre, mais insuffisance dans mes lumières ; donc l’ordre universel des choses n’en est pas moins réel et parfait. Entre la présomption raisonnable de ceux-ci et l’ignorante témérité de leurs antagonistes, il n’est pas difficile de prendre parti. (Diderot.

  1. Que deviennent donc les manichéens, avec la nécessité prétendue de leurs principes ? Où aboutissent les reproches que les athées font à la nature ? On dirait, à les entendre dogmatiser, qu’ils sont initiés dans tous ses desseins, qu’ils ont une connaissance parfaite de ses ouvrages, et qu’ils seraient en état de se mettre au gouvernail, et de manœuvrer à sa place. Et ils ne veulent pas s’apercevoir qu’ils sont, par rapport à l’univers, dans un cas plus désavantageux qu’un de ces Mexicains, qui, ne connaissant ni la navigation, ni la nature de la mer, ni les propriétés des vents et des eaux, s’éveillerait au milieu d’un vaisseau arrêté en plein Océan par un calme profond. Que penserait-il, en considérant cette pesante machine, suspendue sur un élément sans consistance ? Et que penserait-on de lui, s’il venait à traiter de poids incommodes et superflus, les ancres, les voiles, les mâts, les échelles, les vergues, et tout cet attirail de cordages dont il ignorerait l’utilité ? En attendant qu’il fût mieux instruit (dût-il ne l’être jamais parfaitement), ne lui siérait-il pas mieux de juger, sur les proportions qu’il remarque dans le petit nombre de parties qui sont à sa portée, plus avantageusement de l’ouvrier et du tout ? (Diderot.)