Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/183

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efforts, les brins portent opiniâtrement des secousses funestes à l’origine du faisceau ; le malheureux a beau se débattre, le spectacle de l’univers se noircit pour lui ; il marche avec un cortège d’idées lugubres qui ne le quittent point, et il finit par se délivrer de lui-même.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Docteur, vous me faites peur.

d’alembert, levé, en robe de chambre et en bonnet de nuit.

Et du sommeil, docteur, qu’en dites-vous ? c’est une bonne chose.

BORDEU.

Le sommeil, cet état où, soit lassitude, soit habitude, tout le réseau se relâche et reste immobile ; où, comme dans la maladie, chaque filet du réseau s’agite, se meut, transmet à l’origine commune une foule de sensations souvent disparates, décousues, troublées ; d’autres fois si liées, si suivies, si bien ordonnées que l’homme éveillé n’aurait ni plus de raison, ni plus d’éloquence, ni plus d’imagination ; quelquefois si violentes, si vives, que l’homme éveillé reste incertain sur la réalité de la chose…

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Eh bien, le sommeil ?

BORDEU.

Est un état de l’animal où il n’y a plus d’ensemble : tout concert, toute subordination cesse. Le maître est abandonné à la discrétion de ses vassaux et à l’énergie effrénée de sa propre activité. Le fil optique s’est-il agité ? L’origine du réseau voit ; il entend si c’est le fil auditif qui le sollicite. L’action et la réaction sont les seules choses qui subsistent entre eux ; c’est une conséquence de la propriété centrale, de la loi de continuité et de l’habitude. Si l’action commence par le brin voluptueux que la nature a destiné au plaisir de l’amour et à la propagation de l’espèce, l’image réveillée de l’objet aimé sera l’effet de la réaction à l’origine du faisceau. Si cette image, au contraire, se réveille d’abord à l’origine du faisceau, la tension du brin voluptueux, l’effervescence et l’effusion du fluide séminal seront les suites de la réaction.