Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/206

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Cet homme soigneux était l’abbé Bourlet de Vauxcelles. Naigeon en fait un portrait peu flatté, non parce que l’abbé avait publié avant lui cet ouvrage de Diderot, mais parce qu’il avait accompagné cette publication d’une diatribe contre l’auteur, qu’il accusait d’avoir, par cette « joyeuseté de philosophe, été le véritable instituteur de la sans-culotterie, dont le nom, digne de la chose, n’a été connu qu’après elle ; » et d’avoir « appris aux Chaumette et aux Hébert à déclamer contre les trois maîtres du genre humain : le grand ouvrier, les magistrats et les prêtres. »

Cette sainte colère avait attendu pour s’exprimer la fin de la période révolutionnaire. Le recueil intitulé Opuscules philosophiques et littéraires, qui contient le Supplément au Voyage de Bougainville et le Dialogue avec la Maréchale, est de 1796 (Paris). On se demande comment l’abbé avait pu conserver si longtemps dans son portefeuille une pièce à tel point dangereuse, qu’elle avait, même inédite, inspiré les Chaumette et les Hébert ! Était-ce par l’effet d’un avertissement d’en haut ? L’aurait-il communiquée au public si les agitations politiques ne lui avaient pas paru donner à son recueil un certain à-propos… commercial ? N’y a-t-il là qu’une de ces inadvertances dont l’abbé de Vauxcelles était coutumier ? Il est difficile de percer ce mystère.

Nous parlons d’inadvertance. C’était en effet l’un des défauts de ce prêtre, qui fut un assez pauvre écrivain et un prédicateur plus médiocre encore. Naigeon, piqué au vif par son procédé à l’égard d’un homme qui l’avait reçu familièrement, rapporte, mais non pour l’excuser, comme nous l’essayons bénévolement, qu’un jour, voulant demander à D’Alembert et à Diderot, en présence de Mlle de l’Espinasse, leur opinion sur un sermon qu’il devait prononcer le dimanche suivant, l’abbé de Vauxcelles se laissa tellement emporter par l’enthousiasme qu’il oublia de sauter un passage dans lequel il attaquait très-vivement les doctrines et la personne de ses hôtes. Ceux-ci, quelque peu étonnés d’être les confidents de cette critique assez dure, lui représentèrent que, dans les termes où il se trouvait avec eux, il serait au moins convenable qu’il adoucît un peu ses expressions. L’abbé avoua en effet qu’il était allé trop loin et promit, non point d’adoucir, mais de supprimer tout à fait ce passage, dont il n’avait pas d’abord mesuré la portée. Il partit sur cette assurance et le dimanche d’après il prononça son sermon. Malheureusement, par une nouvelle inadvertance, il se trouva que le fameux passage en fut la partie la plus développée et la plus vigoureuse.

On ne reçut plus l’abbé de Vauxcelles chez Mlle de l’Espinasse. Il n’avait pas pensé qu’on se défierait de ses promesses et qu’on irait écouter son sermon.

Il y a dans ce dialogue, à côté des négligences de style habituelles à