Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/270

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Femmes, que je vous plains ! Il n’y avait qu’un dédommagement à vos maux ; et si j’avais été législateur, peut-être l’eussiez-vous obtenu. Affranchies de toute servitude, vous auriez été sacrées en quelque endroit que vous eussiez paru. Quand on écrit des femmes, il faut tremper sa plume dans l’arc-en-ciel et jeter sur sa ligne la poussière des ailes du papillon ; comme le petit chien du pèlerin, à chaque fois qu’on secoue la patte, il faut qu’il en tombe des perles ; et il n’en tombe point de celle de M. Thomas[1]. Il ne suffit pas de parler des femmes, et d’en parler bien, monsieur Thomas, faites encore que j’en voie. Suspendez-les sous mes yeux, comme autant de thermomètres des moindres vicissitudes des mœurs et des usages. Fixez, avec le plus de justesse et d’impartialité que vous pourrez, les prérogatives de l’homme et de la femme ; mais n’oubliez pas que, faute de réflexion et de principes, rien ne pénètre jusqu’à une certaine profondeur de conviction dans l’entendement des femmes ; que les idées de justice, de vertu, de vice, de bonté, de méchanceté, nagent à la superficie de leur âme ; qu’elles ont conservé l’amour-propre et l’intérêt personnel avec toute l’énergie de nature ; et que, plus civilisées que nous en dehors, elles sont restées de vraies sauvages en dedans, toutes machiavélistes, du plus au moins. Le symbole des femmes en général est celle de l’Apocalypse, sur le front de laquelle il est écrit : mystère. Où il y a un mur d’airain pour nous, il n’y a souvent qu’une toile d’araignée pour elles. On a demandé si les femmes étaient faites pour l’amitié. Il y a des femmes qui sont hommes, et des hommes qui sont femmes ; et j’avoue que je ne ferai jamais mon ami d’un homme-femme. Si nous avons plus de raison que les femmes, elles ont bien plus d’instinct que nous. La seule chose qu’on leur ait apprise, c’est à bien porter la feuille de figuier qu’elles ont reçue de leur première aïeule. Tout ce qu’on leur

  1. Variante : « Affranchies de toute servitude, je vous aurais mises au-dessus de la loi ; vous auriez été sacrées en quelque endroit que vous eussiez paru. Quand on veut écrire des femmes, il faut, monsieur Thomas, tremper sa plume dans l’arc-en-ciel, et secouer sur sa ligne la poussière des ailes du papillon. Il faut être plein de légèreté, de délicatesse et de grâces ; et ces qualités vous manquent. Comme le petit chien du pèlerin, à chaque fois qu’on secoue sa patte, il faut qu’il en tombe des perles, et il n’en tombe aucune de la vôtre. » — M. Villemain (Cours de littérature), critiquant cette phrase, était blessé, non pas d’y voir Thomas gratifié d’une patte, mais bien l’arc-en-ciel changé en encrier. L’image est peut-être en effet un peu risquée, mais elle est si expressive !