Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/315

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sique, mais comme condition et non comme cause, but ou motif.

Page 112. — Développez le sentiment de l’amitié, et quand, à force de le défigurer, vous n’en aurez fait que de la peine ou du plaisir physique, ne vous étonnez pas si l’on vous regarde comme un homme atroce ou comme un raisonneur absurde.

Page 113. — Vous me parlez encore de la jouissance d’une belle esclave ou d’un beau tableau ; et comment m’en parlez-vous ? De la jouissance de l’esclave, comme un gourmand qui dévore un pluvier ; du beau tableau comme un physicien qui considère le spectre solaire. Ce sont pourtant des plaisirs bien différents.

Pour caresser l’esclave, pour admirer le tableau, il faut sentir, j’en conviens, mais c’est comme il faut exister.

Sans amour pour les belles esclaves et pour les beaux tableaux, cet homme eût été indifférent à la découverte d’un trésor. Cela est faux en tout sens.

Et quand ce serait l’espoir de jouir demain de votre maîtresse qui vous rendrait heureux aujourd’hui, le seriez-vous d’un plaisir physique ? Vous confondez le plaisir de l’attente et celui de la jouissance, comme vous avez confondu la douleur actuelle avec la douleur de prévoyance. Lorsque vous vous mourez de faim, qu’éprouvez-vous ? La défaillance, la contraction de l’estomac, une sensation particulière et cruelle des organes de la déglutition : qu’ont de commun ces symptômes avec la faim que vous prévoyez, avec vos inquiétudes, votre trouble, votre désespoir ? Il y a si peu de rapport entre ces deux peines, et votre attention est tellement fixée sur le mal qui vous menace, que toute sensation corporelle en est suspendue. Ce n’est plus nous que vous apercevez, c’est l’image d’un homme agonisant, défaillant et expirant dans des transes horribles : image effrayante de ce que vous serez dans un jour, dans deux jours, dans trois jours. Si vous voyiez un homme mourant de faim, vous ne balanceriez pas à dire, cet homme meurt de faim. Si vous voyiez un homme menacé de mourir de faim, le devineriez-vous ? nullement. La faim est un besoin, ce besoin non satisfait devient une maladie ; direz-vous que la maladie et la crainte de tomber malade soient une même chose ? La faim est dans le gosier, l’œsophage, l’estomac et toute la longueur du canal intestinal ;