Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/333

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physionomies, si l’anatomiste expérimenté les connaissait, ne lui diraient-elles pas tout ce que les physionomies extérieures lui annoncent à lui et à d’autres personnes avec tant de certitude qu’elles m’ont protesté ne s’y être jamais trompé ?

Avec un peu plus d’attention, l’auteur aurait soupçonné que dans la combinaison des éléments qui constituent l’homme d’esprit, il en avait omis un, et peut-être le plus important, et son soupçon n’aurait pas été trop mal fondé.

Cet élément, quel est-il ? — Le cerveau.

Un seul fait bien connu aurait modifié toutes ses assertions ; c’est que le rachitisme qui étend la capacité de la tête outre mesure, rend l’intelligence des enfants précoce.

Page 138. — Mais supposons dans l’homme un sens extrêmement fin ; qu’en arriverait-il ?

Je vais vous le dire : c’est qu’il serait réduit à la condition animale ; il ne serait plus un être se perfectionnant en tout genre, mais un être voyant. Je m’explique.

Pourquoi l’homme est-il perfectible et pourquoi l’animal ne l’est-il pas ?

L’animal ne l’est pas, parce que sa raison, s’il en a une, est dominée par un sens despote qui la subjugue. Toute l’âme du chien est au bout de son nez, et il va toujours flairant. Toute l’âme de l’aigle est dans son œil, et l’aigle va toujours regardant. Toute l’âme de la taupe est dans son oreille, et elle va toujours écoutant.

Mais il n’en est pas ainsi de l’homme. Il est entre ses sens une telle harmonie qu’aucun ne prédomine assez sur les autres pour donner la loi à son entendement ; c’est son entendement au contraire, ou l’organe de sa raison qui est le plus fort. C’est un juge qui n’est ni corrompu ni subjugué par aucun des témoins ; il conserve toute son autorité, et il en use pour se perfectionner : il combine toutes sortes d’idées et de sensations, parce qu’il ne sent rien fortement.

Ainsi l’homme en qui l’ouïe prédominerait les autres sens à un extrême degré, ne leur laisserait qu’autant d’exercice que la propagation de l’espèce et la conservation de l’individu en exigeraient ; dans tous les autres instants, il serait comme la taupe dont l’antre retentit du moindre petit bruit, un être écoutant, et toujours écoutant.