Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/350

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Il n’est non plus possible à ces auteurs de changer de ton qu’aux oiseaux de la forêt de changer de ramage. Invitez-les à cet essai, d’originaux qu’ils étaient, ils deviendront imitateurs et ridicules ; leur chant sera d’emprunt, il se mêlera de leur chant naturel, et ils ressembleront à ces oiseaux sifflés qui commencent un air modulé et qui finissent par leur gazouillement.

Ibid. — On ne naît point avec tel génie ou tel génie particulier.

Cette vérité est bien nouvelle, si c’en est une ; car on a pensé et dit jusqu’à présent que le génie était un don particulier de la nature qui entraînait l’homme à telle ou telle fonction dont on s’acquittait médiocrement ou mal sans lui, invita Minervâ. Hélas ! les écoles sont pleines d’enfants si désireux de la gloire, si studieux, si appliqués ! ils ont beau travailler, se tourmenter, pleurer quelquefois de leur peu de progrès, ils n’en avancent pas davantage ; tandis que d’autres, à côté d’eux, légers, inconstants, distraits, libertins, paresseux, excellent en se jouant. Je ne t’oublierai pas, pauvre Garnier : tes parents étaient indigents, tu te faisais renfermer dans les églises de la ville, tu descendais la lampe qui éclairait nos autels, la sainte table te servait de pupitre, tu t’épuisais les yeux et la santé pendant toute la nuit ; cependant je dormais profondément, et tu n’emportas jamais la place de dignité ni sur moi, ni sur trois ou quatre autres. Si Helvétius avait exercé la profession malheureuse d’instituteur d’une cinquantaine d’élèves, il eût bientôt senti la vanité de son système. Il n’y a pas un professeur dans tous nos collèges à qui ses idées ingénieuses ne fissent hausser les épaules de pitié.

Ibid. — L’attention peut également se porter sur tout.

— Non, monsieur, non ; vous vous trompez. Il n’y a personne qui n’ait senti cette répugnance qu’on appelle justement naturelle, parce qu’elle est fondée sur un défaut d’aptitude qu’on est forcé de s’avouer par la violence des efforts et le peu de succès, et malheur à vous, si elle vous est inconnue : également propre à tout, vous n’étiez vraiment propre à rien. Le lévrier à longues jambes et à corps élancé est fait pour suivre le lièvre à la course, vous ne le ferez jamais quêter ; le chien couchant à gros museau, pour battre la plaine, le nez au vent ou baissé ; le braque à poil ras et touffu, pour forcer l’épaisseur