Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/355

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et l’expérience de mon opiniâtreté. Je n’ai pu trouver la vérité, et je l’ai cherchée avec plus de qualités que vous n’en exigez. Je vous dirai plus : s’il y a des questions en apparence assez compliquées qui m’ont paru simples à l’examen, il y en a de très-simples en apparence que j’ai jugées au-dessus de mes forces. Par exemple, je suis convaincu que dans une société même aussi mal ordonnée que la nôtre, où le vice qui réussit est souvent applaudi, et la vertu qui échoue presque toujours ridicule, je suis convaincu, dis-je, qu’à tout prendre, on n’a rien de mieux à faire pour son bonheur que d’être un homme de bien ; c’est l’ouvrage, à mon gré, le plus important et le plus intéressant à faire, c’est celui que je me rappellerais avec le plus de satisfaction dans mes derniers moments. C’est une question que j’ai méditée cent fois et avec toute la contention d’esprit dont je suis capable ; j’avais, je crois, les données nécessaires ; vous l’avouerai-je ? je n’ai pas même osé prendre la plume pour en écrire la première ligne. Je me disais : Si je ne sors pas victorieux de cette tentative, je deviens l’apologiste de la méchanceté : j’aurai trahi la cause de la vertu, j’aurai encouragé l’homme au vice. Non, je ne me sens pas bastant[1] pour ce sublime travail ; j’y consacrerais inutilement toute ma vie.

Voulez-vous une question plus simple ? la voici. Le philosophe appelé au tribunal des lois, doit-il ou ne doit-il pas y avouer ses sentiments au péril de sa vie ?

Socrate fit-il bien ou mal de rester dans la prison ?… Et combien d’autres questions qui appartiennent plus au caractère qu’à la logique ! Oserez-vous blâmer l’homme courageux et sincère qui aime mieux périr que de se rétracter, que de flétrir par sa rétractation son propre caractère et celui de sa secte ? Si le rôle de ce personnage est grand, noble et beau dans la tragédie ou l’imitation, pourquoi serait-il insensé ou ridicule dans la réalité ?

Quel est le meilleur des gouvernements pour un grand empire ? et par quelles précautions solides réussirait-on à limiter l’autorité souveraine ?

Y a-t-il un seul cas où il soit permis à un sujet de porter la main sur son roi ? et si par hasard il y en avait un, quel est-il ?

  1. Suffisant.