Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/381

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Ibid. — Lorsque j’entrevois une vérité elle est déjà découverte.

C’est l’occupation habituelle de mon état qui me ramène sans cesse sur les découvertes à faire pour le mener à sa perfection. En rêvant aux différents moyens de résoudre avec succès quelques-uns de ces problèmes, il s’en présente un à mon esprit, et ce moyen est l’effet de quelques faces nouvelles sous lesquelles j’ai comparé mon objet : il peut être bon ou mauvais, je l’essaye. Voilà ce qu’Helvétius entend apparemment par entrevoir une vérité. Mais qu’entrevoit-on quand on conjecture, quand on ignore le terme de sa route, quand la vérité cherchée est à l’extrémité de cette route, quand, tortueuse ou droite, on est incertain si l’on pourra la suivre jusqu’au bout, quand en la suivant jusqu’au bout on n’y rencontre qu’une illusion, son fantôme ?

En se désabusant d’un moyen trompeur, il arrive quelquefois qu’on en imagine un autre qu’on croit plus solide et qui ne l’est pas davantage ; un troisième qui séduit, et qu’à l’essai on reconnaît aussi infructueux que les précédents, et ainsi pendant de longues années, jusqu’à ce qu’on réussisse ou qu’on meure à la peine.

Voilà ce que j’appelle l’histoire des erreurs ou des découvertes ; et la première, de nulle utilité pour la science, montrerait souvent plus de sagacité de la part de l’inventeur.

La fable a caché la Vérité au fond d’un puits si profond, qu’il n’est pas donné à tous les yeux de l’y apercevoir. J’appuie le philosophe sur les bords de ce puits ; il regarde : d’abord il n’aperçoit que des ténèbres ; peu à peu ces ténèbres semblent perdre de leur épaisseur ; il croit entrevoir la Vérité : son cœur en tressaillit de joie, mais bientôt il reconnaît son erreur, ce qu’il a pris pour la Vérité ne l’était pas. Son âme se flétrit, mais cependant il ne se décourage pas ; il frotte ses yeux, il redouble de contention ; il vient un moment où il s’écrie avec transport : C’est elle !… et ce l’est en effet, ou ce ne l’est pas. Il ne la cherche pas à l’aventure ; ce n’est point un aveugle qui tâtonne, c’est un homme clairvoyant qui a longtemps réfléchi sur la meilleure manière d’user de ses yeux selon les différentes circonstances. Il essaye ces méthodes ; et lorsqu’il s’est bien convaincu de leur insuffisance, que fait-il ? il en cherche d’autres. Alors il ne regarde plus au fond du puits, il regarde en lui-même ; c’est là qu’il se promet de découvrir et les différentes manières dont