Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/390

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decin cessent de se tourmenter, à la longue : l’un et l’autre voient les convulsions et entendent les cris du néphrétique sans s’émouvoir ; l’accoucheur ne tarde pas à tirer l’enfant du sein de la mère en travail, sans éprouver le moindre sentiment de pitié ; à force de tremper ses mains dans le sang des animaux, le boucher voit couler le sang humain sans horreur. Les spectacles sanglants et les supplices publics finissent par rendre atroce toute une nation, témoin les femmes romaines qui condamnaient à la mort un mauvais gladiateur.

Il n’y a pas un mot dans tout ce chapitre que la raison et l’expérience ne contredisent.

On s’aime dans tous les pays…

Il est vrai ; mais chaque individu d’une contrée s’aime à sa mode.


CHAPITRE II.


Page 16. — Le caractère des peuples change ; mais dans quel moment ce changement se fait-il le plus sensiblement apercevoir ? Dans les moments de révolution où les peuples passent tout à coup de l’état de liberté à celui de l’esclavage. Alors de fier et d’audacieux qu’était un peuple, il devient faible et pusillanime.

Cela est mal vu, ce n’est pas ainsi que la chose s’opère. Alors il reste au fond des âmes un sentiment de liberté qui s’efface peu à peu, sentiment que les ministres des tyrans reconnaissent en eux-mêmes et respectent dans les nouveaux esclaves. Ce sont les enfants des tyrans qui osent tout et les enfants subjugués des hommes libres qui souffrent tout. J’en atteste les terreurs et la garde qui entourait ce scélérat de Maupeou[1], lorsqu’il traversait la capitale pour s’acheminer au palais.

Page 17. — Un prince usurpe-t-il sur ses peuples une autorité sans bornes ? il est sûr d’en changer le caractère.

Vous vous trompez. Ce n’est pas l’ouvrage d’un seul despote ; il le commence, et ses successeurs, secondés par la lâcheté des

  1. Le chancelier Maupeou, quoique habile, et peut-être parce que trop habile, est un des exemples les plus remarquables de l’impopularité que peut acquérir un ministre quand il n’a en vue que les intérêts de son maître. Le Maupeouana vaut presque, comme violence pamphlétaire, les Mazarinades.