Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/399

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Mais si les tyrans sont méchants sans remords, d’où viennent leurs terreurs, d’où viennent tant de précautions pour leur sûreté ? Il me paraît aussi difficile que l’oppresseur soit sans remords que l’opprimé sans ressentiment.

L’homme pense-t-il d’un lion qui l’attaque comme d’un tyran qui l’écrase ? Non. Quelle différence met-il donc entre ces malfaiteurs, si elle ne dérive pas de quelque prérogative naturelle, de quelque idée confuse d’humanité et de justice ? Mais si le persécuté a cette idée, pourquoi manquerait-elle au persécuteur ? Si celui-ci ne l’a pas quand il égorge, pourquoi la réclamerait-il quand il est égorgé ? Je ne prononce pas, j’interroge.

Page 38. — C’est la crainte et la faiblesse qui font le respect du droit des gens.

Je sais quelle est la conduite des nations policées entre elles, je ne suis inquiet que de l’opinion qu’elles ont d’elles-mêmes, et que du nom qu’elles se donnent au tribunal secret de leur conscience. Un brigand parle comme il lui plaît, mais il ne sent pas comme il voudrait.


CHAPITRE X.


Page 41. — L’abus du pouvoir est lié au pouvoir, comme l’effet l’est à la cause.

Titus, Trajan et Marc-Aurèle réfutent cette mauvaise maxime.

Première origine de la grande idée que les hommes attachent au mot force… Lorsque l’homme eut à disputer la forêt au tigre, la force, seule nécessaire à cette conquête, fut trop utile pour n’être pas très-estimée. Lorsqu’il fut question d’abattre la forêt, de défricher la plaine, de cultiver la terre, la force, presque seule nécessaire à ces travaux, fut trop utile pour n’être pas très-estimée. Lorsque les sociétés furent fermées, la force qui se montrait avec tant d’avantage dans les combats, dut imprimer le respect. L’estime et le respect s’accrurent lorsque la force accompagna le courage, deux qualités qui formèrent le caractère des Hercule, des Jason, des Thésée, des héros dont les noms ne se prononceront jamais sans admiration, dans les siècles même où il n’y eut aucune différence entre le personnage illustre