Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/408

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des méchants, plus les gens de bien sont considérés : l’horreur du crime est d’autant moindre que le crime est plus commun : le prix de la vertu est d’autant plus grand que la vertu est plus rare. Lorsque vous entendrez un éloge de la probité, dites que la nation est au dernier degré de la dépravation, puisqu’on y loue dans un particulier le devoir commun de tous. C’est alors le moment de dire à son fils, à sa fille : « Veux-tu qu’on te montre au doigt comme un phénix ? n’aie point d’amant, ne sois pas une catin. — Veux-tu qu’on t’honore, qu’on t’appelle l’homme unique ? ne sois pas un fripon à pendre. »

Le vice n’a pas toujours excité l’horreur qu’il méritait, mais il n’a jamais obtenu du respect ; l’extrême de la bassesse est de l’excuser.

Partout où l’auteur parle de religion il substitue le mot de papisme à celui de christianisme.

Grâce à cette circonspection pusillanime, la postérité ne sachant quels étaient ses véritables sentiments, elle dira : « Quoi, cet homme qu’on a si cruellement persécuté pour sa liberté de penser, croyait à la Trinité, au péché d’Adam, à l’Incarnation ! » car ces dogmes sont de toutes les sectes chrétiennes… C’est ainsi que la frayeur qu’on a des prêtres a gâté, gâte et gâtera tous les ouvrages philosophiques ; a rendu Aristote alternativement agresseur et défenseur des causes finales ; fit autrefois inventer la double doctrine ; et a introduit dans les ouvrages modernes un mélange d’incrédulité et de superstition qui dégoûte.

J’aime une philosophie claire, nette et franche, telle qu’elle est dans le Système de la nature et plus encore dans le Bon Sens[1].

J’aurais dit à Épicure : Si tu ne crois pas aux Dieux, pourquoi les reléguer dans les intervalles des mondes ?

L’auteur du Système de la nature n’est pas athée dans une page, déiste dans une autre : sa philosophie est tout d’une pièce. On ne lui dira pas : Tâchez de vous entendre ; nos neveux ne le citeront pas pour et contre, comme les sectateurs de tous les cultes s’attaquent et défendent par des passages également précis de leurs livres prétendus révélés où l’on trouve : Mon père et moi ne sommes qu’un ; mon père est plus grand que moi ; et dont

  1. Deux ouvrages du baron d’Holbach, auxquels on prétend que Diderot n’a pas été étranger.