Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/423

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retombés dans la barbarie lorsqu’ils furent attaqués par les barbares, je doute qu’ils en eussent été subjugués. Je me joins ici à Helvétius contre Rousseau.

Page 56. — En tout genre de commerce, c’est la demande qui précède l’offre.

Je ne pense pas que cela soit toujours vrai. Un artiste ingénieux invente un objet de luxe, il l’exécute, il le produit, il plaît : à l’instant les demandes sans nombre s’adressent à lui, il y satisfait et le voilà riche. Il est vrai qu’au moment où la demande cesse, l’art disparaît.


NOTES.


Page 61. — Ce n’est pas le sentiment du beau moral qui fait travailler l’ouvrier, mais bien la promesse de vingt-quatre sous pour boire.

Je ne sais si c’est le premier, mais l’expérience m’a souvent appris que ce n’était pas toujours le second. Il y a tel ouvrier honnête et tellement jaloux de sa réputation, qu’on lui offrirait inutilement de l’argent pour faire un mauvais ouvrage. J’en ai connu un qui excellait dans l’art de travailler les instruments de la chirurgie dont les opérations lui étaient familières ; quoique sa fortune fût peu considérable et qu’il y eût beaucoup plus à gagner à se prêter aux visions d’un mauvais chirurgien qu’à fabriquer un bon instrument, une forte somme d’argent ne l’y aurait pas déterminé : il se serait regardé comme le complice d’une opération funeste ; il ne faisait aucune différence entre un ouvrier qui aurait fabriqué un pareil instrument, contre ses lumières et sa conscience, et celui qui aurait fabriqué un poignard destiné à tuer le malade.

Page 62. — N’aperçoit-on plus dans les souffrances celles auxquelles on est soi-même sujet, on devient dur.

Je ne crois pas que ce soit par cette raison que le médecin ou le chirurgien s’endurcit ; c’est que la sensibilité s’affaiblit par l’habitude. Le médecin cesse de compatir, à peu près comme, dans une longue maladie, le malade, et dans la longue infortune, le malheureux, cessent de se plaindre, ou, plus exactement, comme, à la quatrième représentation d’une tragédie, le spectateur cesse de pleurer.