Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/520

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CRUDELI.

Ne pensez-vous pas qu’on peut être si heureusement né, qu’on trouve un grand plaisir à faire le bien ?

LA MARÉCHALE.

Je le pense.

CRUDELI.

Qu’on peut avoir reçu une excellente éducation, qui fortifie le penchant naturel à la bienfaisance ?

LA MARÉCHALE.

Assurément.

CRUDELI.

Et que, dans un âge plus avancé, l’expérience nous ait convaincus, qu’à tout prendre, il vaut mieux, pour son bonheur dans ce monde, être un honnête homme qu’un coquin ?

LA MARÉCHALE.

Oui-da ; mais comment est-on honnête homme, lorsque de mauvais principes se joignent aux passions pour entraîner au mal ?

CRUDELI.

On est inconséquent : et y a-t-il rien de plus commun que d’être inconséquent !

LA MARÉCHALE.

Hélas ! malheureusement, non : on croit, et tous les jours on se conduit comme si on ne croyait pas.

CRUDELI.

Et sans croire, on se conduit à peu près comme si l’on croyait.

LA MARÉCHALE.

À la bonne heure ; mais quel inconvénient y aurait-il à avoir une raison de plus, la religion, pour faire le bien, et une raison de moins, l’incrédulité, pour mal faire ?

CRUDELI.

Aucun, si la religion était un motif de faire le bien, et l’incrédulité un motif de faire le mal.

LA MARÉCHALE.

Est-ce qu’il y a quelque doute là-dessus ? Est-ce que l’esprit de religion n’est pas de contrarier cette vilaine nature corrompue ; et celui de l’incrédulité, de l’abandonner à sa malice, en l’affranchissant de la crainte ?