Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/63

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déplacement aura un effet : cet effet, un autre effet, et ainsi de suite, sans qu’on puisse trouver de limites naturelles aux effets, dans la durée qui suivra. L’esprit épouvanté de ces progrès à l’infini des causes les plus faibles et des effets les plus légers, ne se refuse à cette supposition et à quelques autres de la même espèce que par le préjugé qu’il ne se passe rien au delà de la portée de nos sens, et que tout cesse où nous ne voyons plus : mais une des principales différences de l’observateur de la nature et de son interprète, c’est que celui-ci part du point où les sens et les instruments abandonnent l’autre ; il conjecture, par ce qui est, ce qui doit être encore ; il tire de l’ordre des choses des conclusions abstraites et générales, qui ont pour lui toute l’évidence des vérités sensibles et particulières ; il s’élève à l’essence même de l’ordre ; il voit que la co-existence pure et simple d’un être sensible et pensant, avec un enchaînement quelconque de causes et d’effets, ne lui suffit pas pour en porter un jugement absolu ; il s’arrête là ; s’il faisait un pas de plus, il sortirait de la nature.


des causes finales.


2. Qui sommes-nous, pour expliquer les fins de la nature ? Ne nous apercevrons-nous point que c’est presque toujours aux dépens de sa puissance que nous préconisons sa sagesse ; et que nous ôtons à ses ressources plus que nous ne pouvons jamais accorder à ses vues ? Cette manière de l’interpréter est mauvaise, même en théologie naturelle. C’est substituer la conjecture de l’homme à l’ouvrage de Dieu ; c’est attacher la plus importante des vérités théologiques au sort d’une hypothèse. Mais le phénomène le plus commun suffira pour montrer combien la recherche de ces causes est contraire à la véritable science. Je suppose qu’un physicien, interrogé sur la nature du lait, réponde que c’est un aliment qui commence à se préparer dans la femelle, quand elle a conçu, et que la nature destine à la nourriture de l’animal qui doit naître ; que cette définition m’apprendra-t-elle sur la formation du lait ? que puis-je penser de la destination prétendue de ce fluide et des autres idées physiologiques qui l’accompagnent, lorsque je sais qu’il y a eu des hommes qui ont fait jaillir le lait de leurs mamelles ; que l’anastomose des artères