Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/196

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que dans ce moment, je me sentis plus de curiosité que de commisération, et que je songeai moins à secourir qu’à contempler. »

Ici le grand pontife interrompit encore le sultan, et lui dit : « Seigneur, serais-je par hasard un des deux interlocuteurs de cet entretien ?…

— Pourquoi pas ?

— L’homme aux deux nez ?

— Pourquoi pas ?

— Et moi, ajouta le chef des novateurs, l’homme aux deux trous ?

— Pourquoi pas ? »

« Le scélérat de menuisier avait repris son outil qu’il avait mis à terre. C’était un vilebrequin. Il en passe la mèche dans sa bouche, afin de l’humecter ; il s’en applique fortement le manche contre le creux de l’estomac, et se penchant sur l’infortunée qui criait toujours : À moi ! à moi ! il se dispose à lui percer un trou où il devait y en avoir deux, et où il n’y en avait point. »

le pontife.

Ce n’est pas ma femme.

le sultan.

Le menuisier interrompant tout à coup son opération, et se ravisant, dit : « La belle besogne que j’allais faire ! Mais aussi c’eût été sa faute : Pourquoi ne pas se prêter de bonne grâce ? Madame, un petit moment de patience. » Il remet à terre son vilebrequin ; il tire de sa poche un ruban couleur de rose pâle ; avec le pouce de sa main gauche, il en fixe un bout à la pointe du coccyx, et pliant le reste en gouttière, en le pressant entre les deux fesses avec le tranchant de son autre main, il le conduit circulairement jusqu’à la naissance du bas-ventre de la dame, qui, tout en criant : À moi ! à moi ! s’agitait, se débattait, se démenait de droite et de gauche, et dérangeait le ruban et les mesures du menuisier, qui disait : « Madame, il n’est pas encore temps de crier ; je ne vous fais point de mal. Je ne saurais y procéder avec plus de ménagement. Si vous n’y prenez garde, la besogne ira tout de travers ; mais vous n’aurez à vous en prendre qu’à vous-même. Il faut accorder à chaque chose son terrain. Il y a certaines proportions à garder. Cela est plus important que vous ne pensez. Dans un moment il n’y aura plus de remède ; et vous en serez au désespoir. »