Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/317

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sa bague sur le bijou de Fanni. À l’instant il se mit à parler, sa maîtresse à ronfler, et Alonzo à s’éveiller.

Après avoir bâillé à plusieurs reprises : « Ce n’est pas Alonzo : quelle heure est-il ? que me veut-on ? dit-il, il me semble qu’il n’y a pas si longtemps que je repose ; qu’on me laisse un moment. »

Monsieur allait se rendormir ; mais ce n’était pas l’avis du sultan. « Quelle persécution ! reprit le bijou. Encore un coup, que me veut-on ? Malheur à qui a des aïeux illustres ! La sotte condition que celle d’un bijou titré ! Si quelque chose pouvait me consoler des fatigues de mon état, ce serait la bonté du seigneur à qui j’appartiens. Oh ! pour cela, c’est bien le meilleur homme du monde. Il ne nous a jamais fait la moindre tracasserie. En revanche aussi, nous avons bien usé de la liberté qu’il nous a laissée. Où en étais-je, de par Brama, si je fusse devenu le partage d’un de ces maussades qui vont sans cesse épiant ? La belle vie que nous aurions menée ! »

Ici le bijou ajouta quelques mots, que Mangogul n’entendit pas, et se mit tout de suite à esquisser, avec une rapidité surprenante, une foule d’événements héroïques, comiques, burlesques, tragi-comiques, et il en était tout essoufflé lorsqu’il continua en ces termes : « J’ai quelque mémoire, comme vous voyez ; mais je rassemble à tous les autres ; je n’ai retenu que la plus petite partie de ce que l’on m’a confié. Contentez-vous donc de ce que je viens de vous raconter ; il ne m’en revient pas davantage.

— Cela est honnête, disait Mangogul en soi-même ; cependant il insistait.

— Mais que vous êtes impatientant ! reprit le bijou ; ne dirait-on pas que l’on n’ait rien de mieux à faire que de jaser ! Allons, jasons donc, puisqu’il le faut : peut-être que quand j’aurai tout dit, il me sera permis de faire autre chose.

« Fanni ma maîtresse, continua le bijou, par un esprit de retraite qui ne se conçoit pas, quitta la cour pour s’enfermer dans son hôtel de Banza On était pour lors au commencement de l’automne, et il n’y avait personne à la ville. Et qu’y faisait-elle donc ? me demanderez-vous. Ma foi, je n’en sais rien ; mais Fanni n’a jamais fait qu’une chose ; et si elle s’en fût occupée, j’en serais instruit. Elle était apparemment désœuvrée : oui, je m’en souviens, nous passâmes un jour et demi à ne rien faire et à crever d’ennui.