Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/100

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

je ne pouvais ni rester dans ma cellule, ni en sortir ; pas une amie entre les bras de qui j’allasse me jeter. Ô la cruelle matinée que celle du jugement d’un grand procès ! Je voulais prier, je ne pouvais pas ; je me mettais à genoux, je me recueillais, je commençais une oraison, mais bientôt mon esprit était emporté malgré moi au milieu de mes juges : je les voyais, j’entendais les avocats, je m’adressais à eux, j’interrompais le mien, je trouvais ma cause mal défendue. Je ne connaissais aucun des magistrats, cependant je m’en faisais des images de toute espèce ; les unes favorables, les autres sinistres, d’autres indifférentes : j’étais dans une agitation, dans un trouble d’idées qui ne se conçoit pas. Le bruit fit place à un profond silence ; les religieuses ne se parlaient plus ; il me parut qu’elles avaient au chœur la voix plus brillante qu’à l’ordinaire, du moins celles qui chantaient ; les autres ne chantaient point ; au sortir de l’office elles se retirèrent en silence. Je me persuadais que l’attente les inquiétait autant que moi : mais l’après-midi, le bruit et le mouvement reprirent subitement de tout côté ; j’entendis des portes s’ouvrir, se refermer, des religieuses aller et venir, le murmure de personnes qui se parlent bas. Je mis l’oreille à ma serrure ; mais il me parut qu’on se taisait en passant, et qu’on marchait sur la pointe des pieds. Je pressentis que j’avais perdu mon procès, je n’en doutai pas un instant. Je me mis à tourner dans ma cellule sans parler ; j’étouffais, je ne pouvais me plaindre, je croisais mes bras sur ma tête, je m’appuyais le front tantôt contre un mur, tantôt contre l’autre ; je voulais me reposer sur mon lit, mais j’en étais empêchée par un battement de cœur : il est sûr que j’entendais battre mon cœur, et qu’il faisait soulever mon vêtement. J’en étais là lorsqu’on me vint dire que l’on me demandait. Je descendis, je n’osais avancer. Celle qui m’avait avertie était si gaie, que je pensai que la nouvelle que l’on m’apportait ne pouvait être que fort triste : j’allai pourtant. Arrivée à la porte du parloir, je m’arrêtai tout court, et je me jetai dans le recoin des deux murs ; je ne pouvais me soutenir ; cependant j’entrai. Il n’y avait personne ; j’attendis ; on avait empêché celui qui m’avait fait appeler de paraître avant moi ; on se doutait bien que c’était un émissaire de mon avocat ; on voulait savoir ce qui se passerait entre nous ; on s’était rassemblé pour