Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

confession, tandis que de plus pressées s’en étaient emparées. Mon tour approchait, lorsque la supérieure vint à moi, me tira à l’écart, et me dit : « Sainte-Suzanne, j’ai pensé à ce que vous m’avez dit ; retournez-vous-en dans votre cellule, je ne veux pas que vous alliez à confesse aujourd’hui.

— Et pourquoi, lui répondis-je, chère mère ? C’est demain un grand jour, c’est jour de communion générale : que voulez-vous qu’on pense, si je suis la seule qui n’approche point de la sainte table ?

— N’importe, on dira tout ce qu’on voudra, mais vous n’irez point à confesse.

— Chère mère, lui dis-je, s’il est vrai que vous m’aimiez, ne me donnez point cette mortification, je vous le demande en grâce.

— Non, non, cela ne se peut ; vous me feriez quelque tracasserie avec cet homme-là, et je n’en veux point avoir.

— Non, chère mère, je ne vous en ferai point !

— Promettez-moi donc… Cela est inutile, vous viendrez demain matin dans ma chambre, vous vous accuserez à moi : vous n’avez commis aucune faute, dont je ne puisse vous réconcilier et vous absoudre ; et vous communierez avec les autres. Allez. »

Je me retirai donc, et j’étais dans ma cellule, triste, inquiète, rêveuse, ne sachant quel parti prendre, si j’irais au P. Lemoine malgré ma supérieure, si je m’en tiendrais à son absolution le lendemain, et si je ferais mes dévotions avec le reste de la maison, ou si je m’éloignerais des sacrements, quoi qu’on en pût dire. Lorsqu’elle rentra, elle s’était confessée, et le P. Lemoine lui avait demandé pourquoi il ne m’avait point aperçue, si j’étais malade ; je ne sais ce qu’elle lui avait répondu, mais la fin de cela, c’est qu’il m’attendait au confessionnal. « Allez-y donc, me dit-elle, puisqu’il le faut, mais assurez-moi que vous vous tairez. » J’hésitais, elle insistait, « Eh ! folle, me disait-elle, quel mal veux-tu qu’il y ait à taire ce qu’il n’y a point eu de mal à faire ?

— Et quel mal y a-t-il à le dire ? lui répondis-je.

— Aucun, mais il y a de l’inconvénient. Qui sait l’importance que cet homme peut y mettre ? Assurez-moi donc… » Je balançai encore ; mais enfin je m’engageai à ne rien dire, s’il ne me questionnait pas, et j’allai.